De Gloria Naylor 10/18, 2016, 7,50 euros.
Paru dans les années 1980 aux États-Unis, pour la première fois en France en 1987, ce petit livre de 300 pages vient de faire l’objet d’une réédition en poche. Il avait reçu une prestigieuse récompense littéraire américaine, le National Book Award en 1983, et avait fait l’objet d’une adaptation télévision par Oprah Winfrey en 1989. C’est un classique de la littérature afro-américaine, pour l’instant assez méconnu en France.
Le livre brosse le portrait d’une rue et de son histoire. Brewster Place est située dans une ville indéfinie du nord des États-Unis. Le ton est donné dès les premières lignes : « Brewster Place est un enfant bâtard : elle est le fruit de plusieurs rencontres clandestines entre le conseiller municipal et le directeur de la société immobilière Unico. » Cette rue est née sous de bons auspices après la Première Guerre mondiale. Mais la situation va se gâter au fil des générations : les premiers immigrés arrivent, des Italiens, qui font fuir les anciens habitants. À mesure que les immigrants progressent dans l’échelle sociale, ils laissent la place à d’autres, jusqu’à ce que la rue devienne un ghetto urbain noir.
Chaque chapitre retrace l’itinéraire d’une de sept femmes afro-américaines qui ont atterri là, dans ce bout du monde social, dans cette rue murée, sans perspectives. L’écriture est magnifique, ciselée, et on découvre l’histoire des Afro-américains, de la fin de l’esclavage jusqu’à leur vie dans les ghettos. Les relations avec les hommes sont toujours très difficiles, maris, fils, pères, étant infidèles, absents, alcooliques, violents. Peu trouvent grâce aux yeux de l’auteur. Un cortège de misères donc, mais aussi des scènes drôles, tendres, émouvantes.
Gloria Naylor, décédée il y a quelques mois à l’âge de 66 ans, évoque subtilement tous ces chemins difficiles par petites touches, avec délicatesse. Des amitiés se nouent, des beaux personnages de femmes sont évoqués. Ce voyage dans la vie de femmes afro-américaines vaut vraiment le détour.
Régine Vinon