Éditions Gallimard, 304 pages, 21 euros.
Ce ne sont ni le peuple, qui ne l’a jamais élu, ni une inéluctable montée du nazisme qui ont mis Hitler au pouvoir. Ce sont bien des élites — politiques, économiques, médiatiques — qui ont, en conscience, choisi de lui ouvrir la porte.
C’est ce que démontre Johann Chapoutot dans son livre Les Irresponsables, un réquisitoire implacable contre les « puissants » qui, face à la peur du progrès social, choisirent, de deux extrêmes, celui qu’ils pensaient pouvoir contrôler et qui servait mieux leurs intérêts.
Les limites de la théorie du moindre mal
Allemagne, fin des années 1920. Les inégalités explosent, la colère monte. Les travailleurEs s’organisent, les partis de gauche progressent. Alors que répondre à cette colère impliquerait une remise en question de nombre de ses privilèges, la droite capitaliste et conservatrice panique. Le président Hindenburg, attaché à sa position et qui, à grand renfort d’ordonnances et de jeux de chaises musicales, s’accroche au pouvoir, dissout l’Assemblée, nie les résultats des urnes (toute ressemblance…). Après plusieurs mois de négociations et de mises en place hasardeuses de nouveaux gouvernements qui n’ont de nouveau que le nom (décidément), Hitler obtient gain de cause, et la chancellerie. Les grands industriels, les banquiers, la droite voient en lui l’homme capable de faire taire la gauche. Ils pensent pouvoir l’utiliser. Belle clairvoyance.
Quand l’histoire bégaie
Le fascisme ne gagne pas seul, il est toujours soutenu et légitimé par des gens « du haut de l’échelle ». Ce sont ces « irresponsables » — ministres, journalistes, patrons… — qui trahissent la démocratie pour défendre leurs intérêts de classe. Le parallèle avec la période actuelle est saisissant, sinon effrayant. Car, aujourd’hui, les mêmes logiques sont à l’œuvre : pouvoir autoritaire, mépris social, répression violente des luttes, banalisation de l’extrême droite dans les médias et diabolisation de la gauche qui lutte… On légitime les idées fascistes tout en réprimant les mouvements sociaux à coups de LBD et de lois liberticides. Tout ça au nom du « maintien de l’ordre ». Pour la « stabilité ».
Chapoutot, historien engagé, assume de prendre parti : contre l’autoritarisme, contre l’hypocrisie dangereuse d’élites médiocres, contre le contrôle des médias, et pour celles et ceux qui luttent. Il nous rappelle que le fascisme est une réponse de classe : la réponse des puissants qui sentent leurs privilèges menacés. Un livre à lire (avec, peut-être, un dictionnaire franco-allemand à portée de main, pour les moins germanophones), à partager, à discuter dans les cadres militants. Parce que comprendre comment le fascisme est arrivé, c’est aussi, peut-être, se donner les moyens de l’empêcher de revenir.
Cyrielle L. A.