Publié le Vendredi 22 mars 2019 à 12h47.

L’Étrange

Scénario et dessin de Jérôme Ruillier, éditions L’Agrume, 146 pages, 20 euros.

Au lendemain de la Marche des solidarités contre le racisme, nombre de camarades voudraient expliquer à des cercles beaucoup plus large la vraie situation des sans-papiers dans notre pays. C’est l’objectif que se sont donné, à travers l’album l’Étrange, Amnesty International et l’auteur engagé Jérôme Ruiller1. En exposant la situation d’un immigré sans chercher à l’ancrer dans une réalité trop précise (pas de repère de temps ou de lieu dans l’ouvrage), l’auteur recherche et trouve une portée universelle. 

Une fable tragique et moderne…

Jérôme Ruillier raconte donc la vie d’un sans-papiers, à qui il donne les traits d’un ours au regard triste. Ce dernier quitte son pays où la vie n’est plus supportable. Avec l’aide d’une passeuse, il obtient des papiers et un visa touristique. Le voyage coûte cher, il doit vendre tout ce qu’il a et laisser derrière lui sa femme et sa fille. Arrivé à destination, dans un pays dont il ne maîtrise pas la langue, il devient « l’étrange » pour ne pas dire l’étranger. Il croise alors une multitude de personnages qui vont l’observer (une corneille, un passager de bus, un client de supermarché), le juger (des policiers), l’aider (la logeuse, les bénévoles du Réseau d’aide aux « étranges », un collègue de travail) ou le dénoncer (la voisine). La succession de points de vue en courts chapitres ponctués par des discours des Sarkozy et Valls retrace le parcours de l’inconnu jusqu’à l’issue finale.

… peuplée d’animaux

À l’exception de la corneille qui est une vraie corneille, tous les personnages sont dessinés sous forme d’animaux. L’attribution de caractères humains à des animaux est un procédé inusable en bande dessinée, qui a été sublimé par Art Spiegelman pour raconter la Shoah dans Maus. Dans l’Étrange, les animaux semblent maladroitement esquissés en noir et blanc et au crayon, tandis que les fonds en couleurs rythment le récit et accompagnent les émotions jusqu’à la page finale, totalement noire. 

Un témoignage poignant, juste et délicat, à mettre dans toutes les mains.

Sylvain Chardon

  • 1. Voir les Mohamed (édition Sarbacane), une histoire de l’immigration maghrébine.