Actes Sud, 320 pages, 22,50 euros.
Réinventant Antigone à l’heure de l’État islamique et des déchéances de nationalité, Kamila Shamsie propose une narration en cinq parties centrées sur ses personnages : un jihadiste, ses deux sœurs, un ministre conservateur et son fils. Particulièrement asphyxiante, l’ambiance de la catastrophe n’est autre que celle de nos sociétés.
« Des passeports que le monde entier considère comme du papier toilette »
Le roman s’ouvre sur un visa étudiant questionné débouchant sur un avion raté. Dispositif de tri, la frontière du soupçon est présente à chaque étape de la vie des protagonistes surtout les plus démunis. Un fils de diplomate voit son obtention de visa menacée. Un jihadiste repenti n’a pas le droit à la vie. Dans l’entre-deux, la quotidienneté d’une identité stigmate est construite dans le temps court des feuilletons des réseaux sociaux et tabloïds, et le temps déjà long de la Bosnie, de l’Afghanistan et de Guantánamo. Le fond théâtral permet d’exposer l’engrenage de la guerre et du racisme.
La surprise dans le drame ?
Graduellement Sophocle et Anouilh apparaissent dans le développement du récit devenu tragédie. Envisagées et réalisées, les idylles plutôt pas si mal écrites sont remplacées par un corps ennemi putréfié. Le plaisir de la lecture tient au maintien de surprises dans des scenarii prédéfinis. Entiers, difficiles à résumer, les protagonistes de l’écrivaine pakistanaise installée en Grande-Bretagne s’échappent des clichés facilement ressassés. La fille du jihadiste veut étudier Marx dans une université étatsunienne, un ancien responsable média de Daech veut traverser la mer de Marmara contemplant la maison de Trotski pour atteindre un autre univers : des tentatives exprimant, malgré tout, la possibilité de sortir du rôle assigné.
Kris Miclos