Éditions Libertalia, 144 pages, 8 euros.
Historien de formation, Wiliam Blanc s’est intéressé aux façons de raconter des histoires sur l’histoire (celle avec un grand H). Dans les Historiens de garde, coécrit avec Aurore Cherry et Christophe Naudin, il s’attaquait au retour du roman national et à la création de récits de l’histoire orientés politiquement, avec comme exemple Lorànt Deutsch. Toujours en compagnie de Christophe Naudin, il avait écrit en 2015 Charles Martel et la bataille de Poitiers : de l’histoire au mythe identitaire. Contre l’extrême droite, Valeurs actuelles ou Génération identitaire par exemple, qui instrumentalisent cet événement, ils revenaient d’abord sur son histoire, puis sur ses nombreuses et diverses interprétations, chacune expliquant les orientations et intérêts politique de leurs auteurs. Une des qualités du livre était d’étudier, en plus des utilisations historiennes (des chroniques aux manuels scolaires), les références présentes dans la culture populaire.
Politique et culture populaire
Ses livres suivants poursuivent dans cette direction, en s’intéressant à des personnages de fiction avec le Roi Arthur, un mythe contemporain et Super-héros, une histoire politique (on pourra apprendre au passage que ces deux univers sont plus liés que l’on pourrait le penser). William Blanc nous montre que les œuvres de culture populaire consacrées à ces personnages nous disent énormément de la politique et sont souvent engagées. Un chapitre, intéressant pour la science-fiction, est dédié à Un Yankee à la cour du roi Arthur de Mark Twain et à ses nombreuses adaptations, y compris en URSS.
On distingue bien l’historien dans l’utilisation précise des sources, dans l’intérêt porté aux différentes visions et représentations du Moyen Âge et dans l’attention à l’iconographie, chaque livre depuis Charles Martel étant accompagné de nombreuses images. Mais la plus grande contribution de cette formation est peut-être l’habitude de prendre du recul par rapport à un texte et d’en chercher les motivations politiques.
Critique des violences industrielles
Extension de quelques pages du Roi Arthur, son dernier livre est une analyse du discours politique dans la fantasy. Il s’articule principalement autour de trois auteurs.
Le premier, probablement le moins connu, est William Morris, précurseur de la fantasy. Au 19e siècle, l’utilisation d’un Moyen Âge fantasmé, avec par exemple Tennyson, est profondément réactionnaire. En réaction à cela et aux horreurs de la révolution industrielle, William Morris, qui est socialiste, propose d’abord des utopies dans un passé archaïque et proto-communiste, avant d’imaginer des histoires dans des mondes imaginaires célébrant la nature et les hommes et femmes libres la peuplant. On peut lire ainsi la Source au bout du monde, paru récemment en français. Il s’agit à la fois de proposer aux masses « a thing of beauty », de la beauté s’opposant à l’industrie et au triste quotidien, et de les préparer à un avenir émancipateur.
Si Tolkien n’est pas révolutionnaire, sa fantasy s’inscrit également dans la critique des violences industrielles, la guerre en particulier. Des premiers textes, écrits juste après la Première Guerre mondiale, où les dragons rappellent les tanks et les lance-flammes, au Seigneur des anneaux, où les orcs renvoient aux soldats déshumanisés, et la transformation de la Comté par les hommes de Saroumane évoque le productivisme. Mais comme le rappelle William Blanc, Tolkien n’aime pas les allégories et n’en écrit pas. La courageuse quête des hobbits a ainsi pu parler et servir de référence à de nombreux militants de la génération suivante.
Analyse sérieuse et politique sur la fantasy
Le titre de l’essai, Winter is coming, évoque bien entendu le succès des livres de JJ Martin et de leurs adaptations, mais plus généralement le cycle des saisons, métaphore que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres de fantasy, y compris celles de Tolkien. Le Trône de fer (Game of Thrones) a été conçu dans une optique plus réaliste, sans retour à un printemps où les choses iront mieux, mais après sa diffusion, la série télévisée est devenue également une métaphore du dérèglement climatique, le slogan « Winter is not coming » se retrouvant dans des campagnes ou des manifestations écologiques.
William Blanc conclut en citant Tolkien dans une défense de la littérature d’évasion, comparant à un prisonnier qui s’évade celles et ceux qui condamnent et refusent les horreurs du monde actuel par la fréquentation de mondes imaginaires.
Sont évoqués rapidement d’autres auteurs, et s’y ajoutent quelques petits bonus, dont une réflexion sur les jeux de rôles et un court texte sur Howard, l’auteur de Conan, bon complément au Guide Howard de Patrice Louinet.
Comme son sous-titre l’indique, tout cela est bref, trop bref sans doute au vu de la qualité et de l’intérêt des analyses. On aurait voulu en lire plus. William Blanc nous propose plusieurs références pour poursuivre la réflexion, on peut citer la biographie de William Morris par E.P Thompson, malheureusement non traduite.
C’est un bouquin excellent, une analyse sérieuse et politique sur la fantasy, elle servira autant pour celles et ceux aimant et pratiquant le genre et voulant creuser ce qu’il y a derrière, que comme introduction à la réflexion pour celles et ceux l’ayant découvert par les films et les séries.
Benjamin Mussat