Entretien avec Charles-Alexandre Creton, du collectif Artistes pour la Palestine
Bonjour Charles, est-ce que tu peux te présenter ?
Je suis Charles-Alexandre Creton, j’évolue depuis une dizaine d’années dans le milieu de la musique classique en tant que dramaturge et metteur en scène, et je milite auprès du collectif Artistes pour la Palestine – France.
Depuis deux ans, de plus en plus de collectifs d’artistes se constituent en solidarité avec la Palestine. Peux-tu nous parler de ton collectif ?
Artistes pour la Palestine est un collectif qui réunit des artistes professionnelLEs et des travailleurEs du milieu culturel autour de l’appel palestinien à pratiquer un boycott culturel actif des institutions israéliennes, dans le cadre du droit international contre l’occupation, l’apartheid et le génocide.
Le collectif a été fondé en novembre 2024 autour d’un manifeste signé par près de 700 artistes et travailleurEs du monde culturel français. Je l’ai rejoint en janvier 2025.
Tu fais partie des initiateurs de l’appel à faire annuler le concert à la Philharmonie. Il y a eu aussi un très bel appel à « décoloniser la musique classique » par Adam Laloum. Peux-tu expliquer les raisons de cette mobilisation ?
L’Israel Philharmonic Orchestra (IPO) est un « ambassadeur culturel de l’État d’Israël », pour reprendre les termes de son secrétaire général Yair Mashiach.
C’est un acteur de la diplomatie culturelle d’un État dont les instances internationales s’accordent à dire qu’il commet un génocide sur le peuple palestinien dans la bande de Gaza depuis octobre 2023, qu’il pratique une politique d’apartheid et qu’il occupe illégalement les territoires de Cisjordanie.
En tant qu’« orchestre national de l’État d’Israël » (Yair Mashiach), l’IPO occupe un rôle central dans la politique de Brand Israel, qui permet à l’État génocidaire de se présenter au monde occidental comme « la seule démocratie du Moyen-Orient ».
Accueillir cet orchestre, c’est participer à la normalisation du génocide du peuple palestinien. C’est en ce sens que nous avons adressé une lettre ouverte à la direction de la Philharmonie de Paris le 14 octobre dernier.
L’Orchestre philharmonique d’Israël, qui se revendique « ambassadeur culturel de l’État d’Israël », se produit dans toute l’Europe. Comment se sont déroulés les autres concerts ?
Des mobilisations se sont tenues dans toutes les villes où l’orchestre s’est produit en dehors d’Israël. Il y a même eu une annulation à Gand, en Belgique, car Lahav Shani dirigeait le Philarmonic de Munich.
Toutes ces mobilisations répondaient à l’appel des voix palestiniennes qui, depuis la campagne de boycott académique et culturel d’Israël (PACBI), rappellent le rôle des institutions artistiques et universitaires dans la politique israélienne d’oppression, de répression et d’effacement des vies palestiniennes.
Les autres mobilisations européennes n’ont cependant pas été réprimées avec autant de force et de violence que celle du 6 novembre à Paris.
Tu parles de répression, peux-tu nous résumer ce qu’il s’est passé ?
Alors que tout avait été fait pour exiger diplomatiquement l’annulation de ce concert, la préfecture de police de Paris a publié, le 6 novembre en fin de matinée, un arrêté interdisant tout rassemblement dans le 19ᵉ arrondissement entre 18 h et minuit, ainsi qu’un second arrêté annonçant l’usage de drones pour filmer et enregistrer les éventuelLEs protestataires.
Un dispositif policier colossal est alors déployé.
Des artistes de musique classique rejoignent le rassemblement d’Urgence Palestine, place du Châtelet, pour dénoncer l’arrestation d’Omar Alsoumi et, plus largement, la répression et la criminalisation de la solidarité avec la Palestine.
À l’intérieur de la Philharmonie, des camarades de Palestine Action ont interrompu le concert à trois reprises de manière pacifique et se sont fait violemment agresser physiquement et verbalement par des spectateurICEs.
À l’extérieur, une protestation de quelques dizaines de personnes a été violemment nassée par les forces de l’ordre, et touTEs les présentEs ont été verbaliséEs à hauteur de 135 €.
Malgré des blessures, quatre camarades ont été placéEs en garde à vue, puis déféréEs en comparution immédiate. Ils et elles ont retrouvé leur liberté près de 60 heures plus tard et seront jugéEs dans un an.
La perturbation du concert était non seulement prévisible mais légitime. D’autant que les sionistes étaient mobilisés, notamment par l’intermédiaire du CRIF. Cela a donné lieu à une large couverture médiatique. Comment analyses-tu les réactions politiques et médiatiques ?
L’État, allié à l’extrême droite, s’est acharné médiatiquement et judiciairement contre des militantEs qui exigent, de manière non violente, justice pour le peuple palestinien.
La récupération de l’affaire par Marine Le Pen, qui accuse toutes les voix dénonçant le génocide du peuple palestinien d’« antisémitisme », ou encore l’instrumentalisation de journalistes et éditorialistes comme Laurence Ferrari — repostée sur X par le violoniste Renaud Capuçon — comparant de manière éhontée cette action pacifique aux attentats du Bataclan, ont achevé de dévoiler l’« apolitisme » de façade derrière lequel se cachait la direction de la Philharmonie.
Programmer l’Israel Philharmonic Orchestra est donc un acte politique ?
Effectivement, c’est un acte politique.
Même la ministre de la Culture, qui souhaitait la bienvenue à l’orchestre israélien et assimilait grossièrement les contestations à de l’antisémitisme, s’en est faite l’écho.
Que penses-tu de la réaction du directeur de la Philharmonie ?
La réaction de la Philharmonie, qui assimile les militantEs de Palestine Action à des personnes violentes, s’inscrit dans la continuité de ses tutelles, lesquelles criminalisent depuis le début du génocide les voix solidaires du peuple palestinien.
La violence est du côté des génocidaires et de leurs ambassadeurs, pas de celles et ceux qui dénoncent des crimes contre l’humanité.
Le 6 novembre, la Philharmonie de Paris — qui a déposé plainte contre les militantEs —, l’État français, ses représentantEs politiques et ses forces de l’ordre ont endossé le rôle d’ambassadeurs du génocide.
Cet épisode a révélé l’hypocrisie des postures de neutralité : nos institutions musicales, et plus largement culturelles, ne pourront plus se cacher derrière un progressisme de façade pour masquer leurs accointances avec un agenda politique réactionnaire.
Ces institutions doivent abandonner la fausse rhétorique de la paix et se positionner pour la justice, reconnaître les droits du peuple palestinien et s’émanciper du camp de l’oppression.
C’est réalisable et nécessaire, car la culture ne doit jamais servir à couvrir les crimes d’un État colonial.
Jusque-là, nous continuerons à appeler à un boycott actif des institutions culturelles israéliennes.
Propos recueillis par Monira Moon