Publié le Vendredi 3 octobre 2025 à 14h00.

Marx narodnik, de Michael Löwy et Paul Guillibert

Éditions L’échappée, 2025, 122 pages, 16 euros.

L’histoire remonte à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Ses implications théoriques et stratégiques restent actuelles. Le livre stimulant de Michael Löwy et Paul Guillibert reprend le dossier de la rencontre entre Karl Marx et les populistes russes (les narodniki). 

Les deux auteurs proposent de retrouver la vitalité d’une pensée matérialiste « possibiliste », ouverte aux remises en cause, loin des caricatures de ce qui fut un temps le marxisme « officiel ». Contre ce marxisme-là, « vulgaire » et fossilisé, on découvre l’agilité de pensée du « dernier Marx ». Donnons-en tout de suite la leçon majeure : il n’y a ni développement linéaire ni fatalité de l’histoire, « l’avenir du monde n’est pas le passé de l’Europe, le capitalisme n’est pas un destin ». Le socialisme n’est pas une trajectoire balisée, c’est une perspective politique, avec l’émancipation pour boussole.

La terre et la liberté

Le populisme russe naît de l’abolition du servage en 1861 par le tsar Alexandre II. Tout un mouvement éclot, porté par des femmes et des hommes, jeunes, qui exigent « la terre et la liberté ». Dans un empire russe cadenassé par l’absolutisme, la violence revêt l’habit de nécessité. En 1881, le tsar Alexandre II est assassiné par la Narodnaïa Volia (La volonté du peuple). Pour Marx, « un mode d’action historiquement inévitable qui se prête aussi peu au moralisme (…) qu’un tremblement de terre ». Depuis quelques années, il entretient une correspondance avec les populistes, pour lesquelLEs il ne cache pas son admiration. La lettre à Véra Zassoulitch de 1881, perdue puis retrouvée avec ses brouillons, et la préface à la seconde édition russe du Manifeste l’année suivante viennent confirmer son évolution.

Au commencement était le Mir

La défense populiste de l’obchtchina — la propriété commune des terres dans les campagnes — et du Mir — le conseil chargé de les répartir — attire son attention. Ces formes « archaïques » attestent selon lui d’un communisme presque « déjà-là », disponible et mobilisable. À condition qu’elles se débarrassent des « influences délétères » que représentent les hiérarchies traditionnelles : c’est là que la révolution ouvrière peut être un appui décisif. Nul besoin pour la Russie de « subir toutes les péripéties fatales du régime capitaliste ».

L’oubli de cette intuition sera lourd de conséquences pour le mouvement communiste. Elle aura pourtant des prolongements — les auteurs s’attachent par exemple à la « variante latino-américaine de José Carlos Mariátegui ». Surtout, elle nous invite à faire face à l’histoire en militantEs pensantEs et agissantEs.

Théo Roumier