Publié le Dimanche 12 janvier 2014 à 08h09.

Musique : voilà 20 ans que Frank Zappa refuse de mourir !

Compositeur génial, parolier corrosif, guitariste virtuose et chef d’orchestre délirant, Frank Zappa a consacré sa vie à la musique. Souvent à contre-courant de ce qu’attendent le public ou la critique, il offre un univers musical complexe, aux influences diverses que lui seul semble pouvoir déconstruire pour mieux en nourrir ses compositions.

Aux esprits chagrins qui jugent sa démarche trop avant-gardiste, il oppose une conception libertaire et insolente de son art refusant normes artistiques et modes commerciales. L’écouter, c’est admettre que le jazz n’est pas réservé à une élite, que Ravel soit joué en reggae et Stravinski en une suite free-jazz. Zappa décline toutes les facettes du rock, du blues, du jazz, de la musique contemporaine en une polyrythmie sans limites mise en scène sous des formes les plus diverses. D’abord, avec les Mothers Of Invention, un groupe de musiciens déjantés capables de transformer la musique populaire américaine en un vaste collage parodique. Au gré des moyens dont il dispose et des procès qui l’opposent aux maisons de disque concernant la diffusion de sa musique, il reste maître de son parcours de création. Qu’il dirige un groupe de rock (de 66 à 88) ou un big band, The Grand Wazoo (1972), qu’il enregistre avec le London Symphony Orchestra (1983) ou bien The Perfect Stranger (1984) avec Pierre Boulez, il devient une référence majeure de la musique moderne. Des personnalités prestigieuses venues du rock ou du jazz jouent avec lui. Son ami d’enfance, Captain Beefheart sera l’une d’elles, et parmi tant d’autres le violoniste Jean-Luc Ponty, le pianiste George Duke disparu récemment, les batteurs Chester Thompson, Terry Bozzio, le trompettiste Glenn Ferris ou les guitaristes Adrian Belew ou Steve Vai…

L’empêcheur de tourner en rondPour le public français, il est avant tout un as de la guitare curieusement moustachu. Entre 1968 et 1988, plus de 50 concerts tous mémorables ont lieu en France. Au même titre que ses albums, les prestations scéniques de son orchestre sont toujours de grands moments où l’humour le dispute au talent des musiciens. Sans engagement politique précis, Zappa est pourtant un empêcheur de tourner en rond pour les adeptes de la morale blanche et bien-pensante américaine. La présidence de Reagan le conduit à radicaliser ses critiques à l’égard du pouvoir, de l’armée et des prédicateurs. Il mène campagne auprès des jeunes américains pour qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales. En 1990, Vaclav Havel l’invite pour le nommer ambassadeur itinérant de Tchécoslovaquie. Havel comme de nombreux jeunes opposants au stalinisme écoutait clandestinement les disques de Zappa dans les années 70. C’est l’époque où Plastic People, un groupe de rock tchèque dissident lui emprunte le titre d’une de ses chansons. En 91, il envisage sa candidature à l’élection présidentielle, mais la maladie est déjà là et il doit finir sa dernière composition The Yellow Shark. L’Ensemble Modern de Francfort la joue en février 92 en présence du compositeur épuisé. Il meurt le 4 décembre 1993, chez lui à Los Angeles. Il n’a que 52 ans. Lui qui affichait sur scène les mots d’Edgard Varèse : « les compositeurs d’aujourd’hui refusent de mourir », a fini par ranger sa guitare de rock star et sa baguette de chef d’orchestre, vaincu par la maladie. Une foutue saloperie de cancer qui nous a privés bien trop tôt d’un des plus extraordinaires musiciens du XXe siècle.

François Demorlès