Traduit de l’italien par Anne Echenoz, Lux éditeur, 216 pages, 18 euros.
Un transfuge de classe, on voit à peu près de quoi il s’agit — et c’est plutôt tendance... Mais est-ce bien, dans ce livre, de cela qu’il s’agit ?
108 metri...
108 metri. The new working class hero. Titre original d’un livre traduit de l’Italien... Il devrait être interdit de traduire les titres, et si vous lisez ce livre vous partagerez mon avis, j’en suis convaincu !
C’est que, avant de parler de transfuge de classe — du point de vue somme toute très classique d’un enfant de la classe ouvrière qui réussit à l’école et n’est pas emballé par l’idée de finir attaché à un laminoir — il faut entendre la fierté de ladite classe, y compris de ses rejetons récalcitrants, devant l’œuvre accomplie. Ici, des rails de 108 mètres de long, dont la scansion rythme le départ du petit, qu’il reconnait et qui, si elle ne le retient pas, le marque de façon profonde et définitive.
Déterminisme de classe !
C’est que le jeune homme en question va au lycée, ce qui le détourne de l’usine dont il ne veut pas. Il y apprend même, c’est un peu magique, le sens de la métaphore... Mais cela ne suffit pas à l’extraire de sa condition, et son appartenance de classe le rattrape au fil de ses pérégrinations à travers l’Europe et le condamne aux métiers les plus vils du capitalisme tardif, aux tâches de service dévolues aux immigrés ordinaires, assigné au coin du four à pizza, avec l’accent italien, aux cuisines collectives que doivent faire fonctionner des marginaux et déclassés comme lui.
Alors il s’en revient... et l’on comprend que la métaphore, c’est sa vie ! Et ce n’est pas lui, loin s’en faut, le transfuge de classe. Ce n’est pas lui qui trahit, qui abandonne, qui rejette, sa classe. En effet, quand il revient, le haut fourneau a été éteint. Le haut fourneau de Piombino, d’où sortaient les rails de 108 mètres de long, eh bien il a été éteint définitivement... Et c’est comme si c’était bel et bien la classe qui l’avait trahie, lui et ses semblables, en se dissipant comme la fumée noire qui recouvrait la ville. Ne lui reste alors, comme à celleux qui sont restés, comme à celleux qui n’ont jamais pris la route, que la perspective d’une odyssée vers le lumpenprolétariat...
Claude Moro