Éditions Le Passager clandestin, 2024, 80 pages, 6 euros.
Dans le futur, les catastrophes climatiques se succèdent et la pluie est devenue toxique. Les riches vivent cloîtrés dans le Centre, un quartier sous dôme, protégé de l’extérieur. La vie y est agréable, à l’abri de la pollution, des pénuries, de la crise.
Dehors, les plus pauvres survivent comme ils le peuvent, et atteindre trente ans est un exploit. Greena, 16 ans, appartient à une famille de la petite classe moyenne. Avec sa mère et sa fratrie, son monde se réduit à leur petite maison, autosuffisante, avec des cultures et un poulailler intérieur.
Elle ne sort pas ou peu pour ne risquer ni la contamination par les pluies toxiques ni les agressions. Sa mère l’élève à la dure pour pouvoir la marier à un homme riche du Centre, sa seule possibilité de vie meilleure, d’ascension sociale.
Catastrophe climatique
Écrite en 1987, un an après Tchernobyl et alors que Thatcher a imposé sa contre-révolution ultralibérale, cette longue nouvelle de Tanith Lee nous percute avec beaucoup d’acuité. Cette œuvre de la romancière britannique est visionnaire, à l’image des fictions que publie Le Passager clandestin dans sa collection « Dyschroniques ». Celle-ci exhume des nouvelles de science-fiction ou d’anticipation, écrites et publiées il y a des décennies, et qui entrent en résonnance avec les enjeux contemporains : grands projets inutiles et imposés, intelligence artificielle, développement des sociétés privées de mercenaires comme Wagner, complotisme…
Aujourd’hui, la catastrophe climatique est là, elle s’emballe même ; et elle touche en priorité les plus pauvres, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale. Le séparatisme des ultra-riches quant à lui s’accélère. En témoigne le développement des « gated communities », quartiers fermés, privatisés, réservés à des riches propriétaires et hypersécurisés.
Backlash antiféministe
La dimension féministe est présente aussi dans cette nouvelle. Greena est élevée pour être une épouse sans qu’elle ait son mot à dire, ni aucun contrôle sur son corps ou sur sa fécondité. Tout le rôle de sa mère, comme celui des autres mères de cette petite classe moyenne, c’est d’arriver à marier ses filles dans de bonnes conditions.
Il est ainsi facile de faire un parallèle avec les romans de Jane Austen et leur description de la gentry, cette classe sociale, typiquement britannique, qui a aujourd’hui disparu. Cette petite noblesse rurale tirait sa subsistance du produit de ses domaines agricoles, rendant centrale la question de l’héritage, et donc du mariage des enfants.
Le monde de Pleurons sous la pluie est donc un monde où le backlash antiféministe a eu lieu, suivant logiquement la catastrophe écologique et le maintien de la domination capitaliste la plus féroce qui soit.
Cette nouvelle, grinçante au possible, nous montre ce que pourrait devenir nos existences si nous n’arrachons pas le pouvoir aux capitalistes, si nous ne les empêchons pas de nous faire payer leurs crises. Il y a urgence !
Sally Brina