Entretien. Écrivain mais aussi scénariste, Dan Franck est l’auteur de la série La vie devant elles diffusée sur France 3, un tableau social du Nord dans les années 70.
Ta série La vie devant elles vient d’être diffusée sur France 3 et c’est une réussite. Il n’y a pas beaucoup de séries françaises de qualité. Tu apparais en pointe dans le genre.J’en ai écrit quelques unes. J’ai écris la saison 1 des Hommes de l’ombre, j’ai aussi fait Carlos avec Olivier Assayas, et puis Marseille qui va sortir au début de l’année prochaine sur la plateforme Netflix. J’ai une autre série les Aventuriers de l’art moderne pour Arte qui est un truc incroyable, hyper intéressant, l’adaptation de mes livres, Bohème, Libertad et Minuit. C’est une sorte de roman document qui raconte la vie des artistes en France, entre le Bateau-Lavoir avec l’arrivée de Picasso à Paris et la fin de la guerre.Tu as mis en place une équipe pour faire la série. En France, ce n’est pas habituel de travailler de cette façon...D’une manière générale, moi je travaille plutôt seul, sauf pour La vie devant elles : là, j’ai travaillé avec un copain, Stéphane Osmont. Pour les Aventuriers de l’art moderne, un atelier à Angoulême travaille, trois filles mettent en scène, il y a des archives, des documentalistes, etc. C’est un énorme travail d’équipe, et ça c’est vachement intéressant !
Et pour la série Marseille ?Celle-là aussi, je l’ai faite seul. Mais c’est vrai qu’on peut écrire des séries, seul, mais on peut le faire aussi à l’américaine, en étant « show runner ». Les séries ont souvent plusieurs metteurs en scène, notamment Marseille, et il faut que quelqu’un connaisse toute l’étendue du projet. Moi, maintenant je suis « show runner » sur les séries que j’écris, une espèce de producteur artistique qui a le regard sur le casting, les metteurs en scène, etc.
La série commence dans les années 75 avec des jeunes dont les parents ont vécu la guerre, les révolutions, la décolonisation, et qui sont encore dans l’expansion d’après-guerre, mai 68… Elle parle aux générations qui ont connu ces événements.On peut avoir une lecture historique, politique ou sociale de cette série, et dans ce cas, ça intéresse d’abord et avant tout ceux qui ont connu cette période, ceux qui sont de la génération des années 70, ceux qui étaient dans le bassin minier et qui revivent éventuellement leur combat, leur jeunesse.Mais il y a une autre problématique qui est celle des jeunes. Par exemple, ma fille a 14 ans et toutes ses copines regardent la série, parce que les problématiques de l’indépendance, de l’émancipation, le rapport aux parents, sont des choses qui restent, qui sont éternelles. Tout le monde s’y retrouve. On peut regarder ça en famille, les parents peuvent expliquer aux enfants de quoi il s’agissait… C’est une série qui se lit à plusieurs niveaux.
En tout cas, le succès est là...Oui, on a un succès d’audience, et un succès de presse. On a été primé comme la meilleure série française par un jury international de journalistes. Elle est reconnue comme une très bonne série, et il y a un bouche à oreille qui marche bien.
Y aura-t-il une suite ? Cela dépend-il du succès ?On l’espère. Nous avons conçu la série comme une série longue. On veut raconter l’histoire d’une génération, et on voudrait aller jusque dans les années 90, c’est-à-dire raconter comment ces adolescentes des années 75 vont grandir, s’emparer du politique, et vont évoluer dans le cadre social et familial. Normalement, si on continue, elles devraient connaître l’effondrement de la sidérurgie, mais cela ne dépend pas de nous, cela dépend de la direction de France 3. Et cela ne dépend pas seulement du succès de la série parce que pour le coup, on a tout eu : succès d’estime, succès d’audience, succès de presse, on a été primé... Le problème, ce sont des équilibres plus généraux, qui nous dépassent d’ailleurs.
Tu t’es engagé en soutien aux sans-papiers, l’occupation de l’église Saint-Bernard, dans la constitution de Ras l’front. Comment vois tu l’évolution de la situation aujourd’hui ?Effectivement je m’étais engagé et je suis toujours engagé sur ces questions. Mais je trouve que c’est un échec, avec notamment ce qui se passe aujourd’hui en Méditerranée. Un drame humain. Le peu de générosité du pays, des gouvernements successifs, gauche comprise d’ailleurs, à l’égard des sans-papiers, est quand même quelque chose de terrible. On n’a pas réussi vraiment à faire bouger les lignes.
Tu as soutenu Hollande en 2012, contre Sarkozy…J’ai voté Hollande en 2012, et je referai la même chose contre la droite. Non seulement il y a la poussée du Front national, mais aussi Sarkozy qui prétendait réduire le Font national ne l’a pas réduit et au contraire a intégré son programme. On se rappelle le ministère de l’Identité nationale. J’étais allé manifester avec Jane Birkin et d’autres devant ce ministère indigne.Ce que Sarkozy a fait et que la droite dure fera à nouveau, c’est de récupérer le programme du Front national, et à part le distinguo sur l’Europe, il n’y a pas de différence fondamentale entre eux. Entre la droite dure et l’extrême droite, il y a l’épaisseur d’un papier à cigarette, et je pense que Marine Le Pen, pour gagner encore un peu de voix, renoncera à la sortie de l’Europe à un moment donné. Leurs programmes seront alors confondus. Et moi je combat ces programmes. Donc sur un plan législatif, la meilleure manière de le faire, c’est de voter pour la gauche. Je vote toujours au 1er tour pour l’extrême gauche, au deuxième tour je me rallie au vote utile...
Propos recueillis par Jean-Marc Bourquin