Publié le Dimanche 16 juin 2024 à 09h00.

« Ce n’est pas normal qu’une poignée de personnes, pour leurs profits, puissent décider comme ça de notre futur »

Entretien. Vendredi 7 juin, premier jour du week-end « En roue libre » contre l’A69, à l’appel d’un large collectif d’associations, la Voie est libre, les Soulèvements de la Terre, XR Toulouse, la ZAD A69. Autour de nous, les membres des collectifs, les bénévoles, montent le camp de base. Malgré les menaces de Darmanin, relayées sur le terrain par le préfet et ses soutiens politiques, un camp est en train de s’établir au bord du tracé de l’A69, sur une parcelle agricole menacée d’être recouverte de bitume par des constructions liées à l’autoroute et à quelques kilomètres des quartiers généraux du concessionnaire Atosca. Gabrielle, militante de XR, répond à quelques questions.

Face au déploiement démesuré des forces de l’ordre, que penses-tu de l’ampleur et de la brutalité de la répression policière contre les opposantEs à l’A69 ? 

Pour nous c’est assez menaçant en termes de démocratie. On se pose beaucoup de questions. Dans les derniers mois, il y a eu beaucoup de révélations sur les scandales qui ont accompagné le projet, notamment les liens entre le groupe Pierre-Fabre, le préfet et Emmanuel Macron qui a bénéficié des soutiens pour sa campagne électorale. Les enquêtes ont révélé de véritables conflits et prises illégales d’intérêt. On se rend bien compte que cette autoroute n’est pas qu’une simple infrastructure, mais pour ces gens-là c’est de l’argent.

Nous sommes en train de les menacer de perdre ces profits, ça ne leur plaît pas du tout. Et l’État se met au service de ces entreprises.

À chaque étape, on est un peu plus étonnéE que celle d’avant. Nous voyons aujourd’hui à quel point ils mettent des moyens pour nous empêcher de manifester. Ce matin un hélicoptère a tourné pendant plus de deux heures au-dessus du camp alors qu’il ne se passait rien, pour nous intimider, c’est quand même très inquiétant.

Il y a de nombreuses raisons pour se mobiliser contre la construction de l’autoroute. Quelles sont celles qui te semblent plus importantes ?

Mon engagement repose sur deux piliers qui me sont le plus chers. Le premier, c’est le sort des futures générations. Face à la dégradation environnementale, le GIEC annonce très clairement qu’il faut annuler tous les projets consommateurs d’énergies fossiles. Mais les entreprises, les entreprises françaises n’arrêtent pas. On le voit avec Total ou avec Lafarge dont nous combattons les orientations. Ces entreprises nous condamnent, et ce n’est pas normal qu’une poignée de personnes, pour leurs profits, puissent décider comme ça de notre futur. Nous parlons d’un futur avec plus 4 °C, les derniers chiffres du réchauffement sont très alarmants.

La deuxième grande raison, c’est le pilier social. Une autoroute dont le péage va coûter près de 20 euros aller-retour ! On nous vend l’argument du désenclavement du sud du Tarn, mais aucunE employéE, aucunE prolétaire ne va emprunter cette autoroute. Iels vont tous devoir passer par l’ancienne route et au final perdre beaucoup de temps tous les jours.

C’est un désastre pour les habitantEs. Il y a une route qui existe, qui n’est jamais encombrée au point d’avoir besoin d’une autoroute. Des aménagements de quelques portions et de quelques carrefours suffiraient à ­l’­améliorer et à la sécuriser.

Au niveau de l’organisation de la lutte, comment arrivez-vous à faire cohabiter et à faire fonctionner tous les collectifs, La Voie est libre, les Soulèvements, XR, les collectifs Stop bitume, les ZAD ?

Ce n’est pas toujours facile mais c’est un élément qui fait la beauté et l’efficacité de la lutte. Il y a des jeunes, il y a des vieux, il y a des gens de tous métiers, de tous horizons, et c’est très bien de partager ce genre de lutte. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur les méthodes de lutte, ça n’empêche pas de travailler ensemble, d’avoir un objectif commun. Avoir une entente c’est compliqué, cela prend du temps, avec beaucoup d’assemblées générales, de longues discussions et les choses avancent. Un des représentants du collectif Stop bitume disait qu’ils n’étaient pas a priori très favorables à la désobéissance civile, mais que l’attitude de la police et les réactions du pouvoir les poussent dans ce sens. Nous avons testé tout ce qui est légal, mais face à une telle violence et une telle incapacité de passer par les voies légales, on n’a pas le choix.

Comment tu vois la suite ?

Dimanche on a gagné, c’est fini ! Non, on va continuer tant que ce sera nécessaire. C’est toujours mieux de se battre plutôt que ne rien faire. Ce qu’on peut constater, c’est que NGE est particulièrement en retard : ils étaient censés livrer l’autoroute en 2025, ça n’arrivera pas. Les mobilisations leur ont fait perdre du temps et de l’argent. Nous sommes les grains de sable dans l’engrenage.

L’occupation des ZAD a été aussi un élément de frein considérable. Il y a encore des écureuilEs dans les arbres dans plusieurs zones auxquelles NGE ne peut pas encore accéder. Pas le moindre mètre de bitume n’a été coulé. Pour l’instant tout est encore réversible et on va se battre tant qu’il le faut.

Beaucoup de choses se passent sur le plan de légal : on attend le résultat des recours sur le fond, peut-être avant la fin de l’année. L’enjeu est que cette autoroute soit déclarée illégale. Ce qui signifierait notre victoire.

La lutte évolue un peu tous les jours : on apprend de nos erreurs. On voit ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Les grosses mobilisations comme ce week-end, c’est vachement bien, que ce soit pour des actions directes ou juste pour sensibiliser la population. Lors la première « sortie de route » il y avait à peu près 4 000 personnes, à « Ramdam sur le macadam », nous étions 10 000. Ce week-end nous attendons beaucoup de monde. Cette progression, c’est super !

Quel est ton point de vue sur la désobéissance civile ?

Sur les questions de violence et de désobéissance civile, j’aime bien citer la Constitution. Il y a un article qui dit que le peuple a le droit de se rebeller lorsque l’État va encontre des intérêts du peuple et de l’intérêt général.

C’est exactement ce qui se qui se passe. Nous sommes attachéEs, en particulier à XR, à la non-­violence et nous ne considérons pas qu’attaquer des engins de chantier soit de la violence. La violence, c’est contre un être vivant pas contre une machine. 

La désobéissance civile non violente a fait ses preuves, un nombre incalculable de fois et j’y suis très attachée. C’est comme ça qu’on gagnera.

Propos recueillis par Dominique B.

 

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Samedi 8 juin au matin, 1 600 gendarmes et CRS quadrillent le territoire, multiplient les contrôles. Près de 7 000 personnes sont au rendez-vous et vont se répartir en quatre cortèges. L’imposant dispositif militaire les repousse à plusieurs reprises et les attaques, en tirant des grenades désencerclantes GM2L au milieu des manifestantEs, faisant une vingtaine de blesséEs dont plusieurs gravement. Les forces de l’ordre ont même envoyé ces grenades dans un camion médic qui évacuait un blessé grave, blessant plusieurs médics à l’intérieur. Dimanche, journée de débats et de formations : l’occasion de marquer un soutien fort à la ZAD de la Cal’arbre attaquée plusieurs fois cette semaine par la police.