Publié le Mercredi 9 décembre 2015 à 15h49.

La COP21 prépare un crime climatique

Interview de Pablo Solón publiée par inprecor.fr réalisée par La Gauche1

Propos recueillis à Bruxelles le 31 octobre 2015

La Gauche : Nous savons que la COP21, qui aura lieu à Paris fin novembre-début décembre, est une rencontre très importante, parce que c’est là que devrait être décidé un nouvel accord mondial sur le climat. Que peut-on attendre de cet accord ?

Pablo Solón Le fond du problème n’est pas en négociation. Le fond du problème c’est de combien doivent être les réductions des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial d’ici à 2030. Et ce sujet n’est pas négocié. C’est une négociation où le cœur de ce qui devrait être négocié ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que la méthode qui a été adoptée, c’est que chaque pays envoie ses contributions volontaires de réduction d’émissions. 

 Au mois d’octobre, 156 pays avaient déjà envoyé leur contribution. Lorsqu’on additionne les contributions de chaque pays, il apparaît une brèche très importante entre là où on devrait être et là où on sera réellement. En termes numériques : en 2030 on devrait être à un niveau d’émission mondial annuel de 35 gigatonnes d’équivalent CO2. Cependant, du fait de la manière de négocier et des propositions présentées on devrait arriver aux alentours de 60 gigatonnes d’équivalent CO2. Il y a donc une différence de 25 gigatonnes, pratiquement le double. 

Et le plus important, c’est que les scientifiques ont dit que le pic d’émissions – le point à partir duquel les émissions commencent à baisser – aurait dû avoir lieu durant cette décennie, il aurait dû avoir lieu l’année passée. Avec les propositions actuelles de réductions d’émissions, on n’arrivera pas au pic d’émissions avant 2030. Donc on se trouve dans une situation extrêmement préoccupante, alarmante, sur ce que va être l’accord de Paris.

 

La Gauche : À quoi est dû ce manque de négociations sur le cœur du problème – ne pas dépasser le 35 gigatonnes ? Est-ce possible dans le système actuel d’arriver à un accord plus ambitieux qui respecte les recommandations du GIEC ?

Pablo Solón Le problème c’est que la négociation a été mise en place de cette manière depuis l’accord de Copenhague en 2009 : on ne part pas de l’objectif final pour ensuite le répartir entre les différents pays en fonction de leur population, de leur responsabilité historique, de leurs capacités économiques, etc. La manière rationnelle de négocier serait de partir de l’objectif et de dire combien on va répartir pour les États-Unis, pour la Bolivie etc. Mais la négociation a été construite depuis longtemps sur la base d’une logique différente : chacun dit volontairement ce qu’il va faire. On voit que cela nous amène à une situation où ce qui est proposé par les pays c’est très peu et que cela va faire augmenter fortement la température dans les prochaines décennies.

 

La Gauche : Face à cela, comment le mouvement social pourrait-il reprendre l’initiative ? On sait qu’il y aura d’importantes mobilisations, mais comment pourrait-on faire converger à la fois le mouvement ouvrier et le mouvement écologiste pour reprendre l’initiative sur le problème climatique et imposer des objectifs plus ambitieux ?

Pablo Solón Je ne pense pas que – pour autant qu’on mette la pression – on va changer la logique de la négociation. Je pense que la solution au changement climatique ne va pas venir d’un accord international, en tout cas pas dans les prochaines années et peut-être pas dans les prochaines décennies. Je ne pense pas que si l’on on met dans la rue un ou deux millions de personnes au lieu d’en mettre 500 000, cela va changer subitement une COP, que ce soit la 21, la 25 ou la 30. Croire cela, c’est une illusion. Je pense que la lutte contre le changement climatique va passer par ce qui peut se faire au niveau local de chaque pays, de chaque municipalité, tout d’abord pour affronter les multinationales qui sont celles qui veulent un accord laxiste et flexible. Cet accord est fait pour les multinationales du pétrole ou du gaz. Donc toute action pour dénoncer ces multinationales, comme par exemple l’occupation d’une mine en Allemagne est à soutenir et il faut que ça se répète. Autant contre le secteur pétrolier que contre le secteur de l’agrobusiness, qui promeut la déforestation qui est une des causes les plus importantes de l’effet de serre.

Face à cela il faut mettre en avant les alternatives locales, concrètes, de souveraineté alimentaire, de transport public… C’est un moment durant lequel nous devons construire les alternatives concrètes.

Nous devons également promouvoir des visions de développement qui nous sortent de ce piège dans lequel nous nous trouvons, où on a associé le développement à plus d’extractivisme, à plus de consommation, à plus d’extraction de combustible fossile… Il est nécessaire d’avancer dans ce sens. 

Par exemple dans mon pays, la Bolivie, nous avons des émissions par habitant plus importantes que certains pays de l’Union européenne. Pourquoi ? À cause de la déforestation. Cette déforestation bénéficie principalement à l’agrobusiness. Ce que nous devons faire, c’est promouvoir des modèles d’agroforesterie, de production d’alimentation qui puissent partager la forêt et non la détruire. De même développer l’énergie solaire : au lieu de dépenser 3 à 5 milliards de dollars pour chercher plus de pétrole ou plus de gaz, puisque la Bolivie a des réserves de gaz jusqu’à la prochaine décennie, on pourrait investir cette quantité d’argent dans une transition énergétique vers une énergie solaire communautaire, familiale, municipale…, vers une transition qui donne du pouvoir à la société et qui promeuve une démocratisation et une décentralisation de la production et de la distribution de l’énergie.

 

La Gauche : À propos des pays de l’Amérique latine, quelle évaluation faites-vous de ce qu’on pourrait qualifier de gouvernements progressistes – je pense à la Bolivie, à l’Équateur, au Venezuela, c’est-à-dire à l’axe de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) – qui d’un point de vue social ont amené certaines améliorations mais en ce qui concerne l’environnement ont été qualifiés de néodéveloppementistes ou de capitalisme andin ? 

Pablo Solón Ces gouvernements ont eu le mérite de récupérer le contrôle de certaines ressources naturelles, qui avaient été privatisées et vendues à des multinationales – le pétrole, le gaz… Une fois récupérées les ressources naturelles et les entreprises qui avaient été privatisées, ces États ont eu plus d’argent et c’est ce qui leur a permis de développer une série de programmes sociaux, qui ont eu des répercussions et ont permis de réduire l’extrême pauvreté dans ces différents pays. C’est une avancée importante. 

Cependant, le gros problème, c’est que depuis le début, par exemple en Bolivie, nous avions tracé comme objectif d’utiliser l’extraction et l’exportation du gaz seulement de façon temporaire. L’objectif c’était de financer une diversification de l’économie. 

Mais ce qui s’est passé, c’est que, au lieu qu’on ait aujourd’hui une économie diversifiée, nous sommes devenus encore plus dépendants de l’extractivisme, on n’a pas réussi à faire cette diversification de l’économie. Donc aujourd’hui, par exemple quand les prix du pétrole plongent au niveau mondial, ce que disent ces gouvernements ce n’est pas « bon, nous avons fait une erreur et maintenant nous allons développer les autres secteurs de l’économie », mais ils y répondent plutôt en disant : « à la chute des prix du pétrole il faut répondre par plus d’extractivisme, pour extraire plus de pétrole, plus de gaz et vendre le double pour compenser la chute de 50 % des prix ». 

Ils sont en train de créer des économies qu’on appelle rentières, qui vivent de la rente générée par ce secteur et non pas de diversification économique. Cela n’a rien à voir avec un modèle distinct de développement – qui ne serait pas de suivre le modèle des pays développés qui nous a conduit à la situation catastrophique du climat.

 

La Gauche : Pour terminer, quel message pourriez-vous donner aux milliers de personnes qui vont converger vers Paris pour participer aux manifestations en relation à tout ce que nous avons abordé ?

Pablo Solón Je pense qu’il est très important d’avoir des messages clairs. Il faut aller à Paris ou il faut faire des manifestations ici en Europe, à Bruxelles, mais avec des messages clairs. Ces messages doivent être : il faut laisser 80 % des énergies fossiles sous terre ; il faut arrêter les émissions de gaz à effet de serre et la déforestation. Nous devons prendre le problème du réchauffement climatique et dire que ce que la COP est en train de faire est un crime. Nous devons dénoncer ce crime. 

L’objectif de la mobilisation ne peut pas être simplement de faire pression pour avoir un bon accord. Je pense que ça c’est une illusion. C’est amener le mouvement à une frustration. Le mouvement doit être pour dénoncer la farce de la COP21 à Paris et dénoncer la farce de cet accord. Et précisément dire qu’il faut mettre un arrêt au crime climatique qui est en train d’avoir lieu sur la terre, sur la planète, et mettre fin à cette inaction préméditée avec laquelle les gouvernements favorisent les multinationales. 

C’est très important pour éviter ce qui s’est passé notamment à New York l’année passée : il y avait une grande mobilisation avec 400 000 personnes dans la rue, mais le message était très générique, le message c’était « agissez ! ». Ban Ki-moon et d’autres figures politiques étaient présentes. Le lendemain ils ont dit « nous allons agir » et ce qu’ils ont fait c’était promouvoir la tarification du carbone pour ouvrir de nouveaux marchés du carbone. 

Donc si on va à une manifestation avec un message trop générique, il est beaucoup plus facile qu’il soit capté par les forces politiques et économiques qui veulent, au fond, vendre un mauvais accord à Paris, de manière consciente, pour ainsi occulter leurs responsabilités. 

C’est très important d’avoir des messages clairs de dénonciation et prendre le problème climatique pour ce qu’il est : un crime contre l’humanité et un crime contre la nature. Ce n’est plus seulement un problème de modèle théorique de développement : on parle de centaines de milliers de personnes qui meurent chaque année et d’espèces de la biodiversité qui disparaissent et que nos enfants et petits-enfants ne connaîtront pas.

  • 1. Pablo Solón Romero, ancien ministre du Commerce extérieur du gouvernement d’Evo Morales et ancien ambassadeur de la Bolivie aux Nations unies (février 2009 à la fin juin 2011), est maintenant directeur exécutif de l'organisation altermondialiste Focus on the Global South. De passage à Bruxelles pour une conférence organisée par l’organisation Climat et Justice sociale, il a été interviewé par le journal de la LCR-SAP (section belge de la IVe Internationale), la Gauche.