Il y a un an, le 26 septembre 2019, ce qui ne devait arriver « qu’une fois tous les 10 000 ans », selon la préfecture et son plan de prévention des risques, est malgré tout arrivé. 9 000 tonnes d’un cocktail toxique d’hydrocarbures, dioxines, benzopyrène, particules ultra-fines et amiante sont parties en fumée dans l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, classée Seveso seuil haut, et de sa voisine Normandie Logistique.
Il aura fallu cinq heures pour que le préfet daigne déclencher les sirènes, pourtant prévues dans le plan de prévention, pour alerter les populations qui se réveillaient sous un gigantesque panache de fumée de 8 km sur 26, qui devait ensuite traverser tout le nord de la France jusqu’à la Belgique. Et pas de confinement, puisque la priorité, c’était que les usines tournent pour produire les profits capitalistes.
« Lubrizol coupable, État complice »
Tant pis pour les salariéEs des transports en commun de l’agglomération, obligés de tourner toute la journée dans le nuage. 466 d’entre elles et eux ont signalé sur les registres de l’infirmerie maux de tête, vomissements, irritation des bronches. Un mois plus tard, 45 d’entre elles et eux étaient encore en arrêt de travail. Le préfet n’a cessé de minimiser les risques, jusqu’à nier pendant plus d’une semaine le risque amiante dénoncé par le collectif Lubrizol, alors que 8 000 m2 de toiture amiante-ciment étaient effondrés ou partis en fumée, dispersant des fragments blancs d’amiante, visibles à des kilomètres. Même le Sénat devait reconnaître, par sa commission d’enquête, que « la communication de crise des services de l’État a montré ses limites par son incapacité à informer le public de façon claire, prescriptive et pédagogique ». Quant à la direction de Lubrizol, elle a tenté de cacher l’existence d’un rapport de visite de son assureur, la société FM Global, qui décrivait dès 2008 le scénario catastrophe et préconisait des modifications importantes du dispositif anti-incendie, rapport jamais suivi d’effet. Dès lors, permettre le redémarrage de Lubrizol, comme l’a fait le préfet, alors que les garanties ne sont pas là en termes de sécurité et que les voisinEs sont encore aujourd’hui importunés par des odeurs irrespirables, apparaît comme une décision complètement irresponsable.
« Lubrizol coupable, État complice » est donc devenu le cri de ralliement des riverainEs, des sinistréEs de Lubrizol, des syndicalistes, des associations environnementales, des paysanEs dont les productions agricoles ont dû être jetées, des avocats ou médecins, qui manifestaient ensemble pour réclamer vérité et justice. Car fait notable, grâce à l’initiative unitaire de la CGT locale, très impliquée dans la santé au travail, un collectif unitaire est né, qui saura fédérer toutes ces énergies, leur donner la parole dans leur diversité.
Rien n’a changé, si ce n’est en pire
« Un an après l’incendie, rien n’a changé au sein des sites industriels », dénonce le tract du collectif. « La recherche maximum du profit et par conséquent la limitation des investissements en termes de sécurité » est toujours la norme, « en l’absence de renforcement massif des contrôles, de la fin de la complaisance avec les industriels ». On se souvient par exemple que la préfecture et ses services avaient autorisé une extension de stockage à Lubrizol, sans que le préfet n’exige une nouvelle évaluation environnementale, profitant d’un assouplissement inadmissible de la législation. 38 contrôles de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) n’avaient rien trouvé à redire sur la sécurité à Lubrizol, là où une simple visite de l’assureur pointait déjà le risque incendie. Comment croire Macron en visite surprise à Rouen, déclarant qu’il n’y avait pas eu défaillance de l’État ? Rien n’a changé, si ce n’est en pire. Avec la loi travail, le CHSCT, seule instance de représentation des salariéEs entièrement consacrée à la sécurité, la santé, les conditions de travail et l’environnement, et dans lequel les syndicalistes avaient développé une expertise pour protéger salariéEs, riverainEs et environnement, a été supprimé. La loi Nouvelle justice pour l’environnement, soumise à la discussion des chambres, mettrait en place une procédure de transaction sous contrôle judiciaire, qui vise surtout à éviter aux industriels tout procès pénal public, en contrepartie d’une amende qui s’apparente en réalité à l’achat d’un droit à polluer. Quant au projet de loi Accélération et simplification de l’action publique (ASAP), lui aussi en cours de discussion à l’Assemblée, il vise à simplifier les procédures administratives, pour accélérer les installations industrielles.
Nous exigeons au contraire le renforcement massif des moyens humains et juridiques contre les accidents industriels, ainsi que la pleine indépendance des corps de contrôle de l’État dont l’inspection du travail et le service des installations classées des DREAL, la poursuite systématique des infractions constatées, une tolérance zéro vis-à-vis de la délinquance en col blanc, et l’interdiction de la sous-traitance dans les sites industriels. Cela ne peut se faire surtout qu’en renforçant le pouvoir des salariéEs, qu’en renforçant l’alliance entre salariéEs, paysanEs, riverainEs, écologistes, pour refuser le chantage emploi contre pollution.
Notre santé vaut plus que leurs profits
Pendant un an, les services de l’État ont minimisé les risques sanitaires, refusé les prélèvements et la recherche de toxiques dans le sang, le lait maternel, les bio-marqueurs. Alors ce sont les associations qui ont dû faire le travail d’enquête. Une association de femmes allaitantes, dont le lait avait été congelé avant l’incendie de Lubrizol, a ainsi montré que les taux d’éthylbenzène dans le lait maternel ont pu être multipliés par sept avec l’incendie. Le benzène est responsable de leucémies, notamment chez les jeunes enfants. L’association Respire et son questionnaire ont démontré une exacerbation des signes pour celles et ceux qui ont des difficultés respiratoires, une aggravation des troubles anxieux. Après avoir nié le risque amiante, la préfecture a dû concéder des taux autour de 3 fibres par litre dans ses prélèvements, et jusqu’à 4,8 à Préaux, à une vingtaine de kilomètres de Rouen. Mais pour dire aussitôt qu’il n’y avait pas de problème, car en dessous de la norme de 5 fibres par litre. Cinq fibres par litre, c’était le taux moyen de pollution amiante des années 1970. Mais grâce aux interdictions de l’amiante, un cancérigène sans seuil rappelons-le, la pollution amiante a baissé à 0,47 fibre par litre en 1993, puis 0,08 fibre par litre en 2011. L’incendie de Lubrizol aura multiplié les taux d’amiante d’un facteur 30 à Rouen et jusqu’à 60 à Préaux ! L’incendie de Lubrizol va aggraver une pollution atmosphérique qui fait chaque année en France 46 000 morts, selon Santé publique France, soit la troisième cause de mortalité. Qui prive les RouennaisES de 15 mois d’espérance de vie. Alors le collectif n’a aucune confiance dans l’enquête de l’Agence régionale de santé, sur le ressenti des populations, qui arrive avec un an de retard, et exige un réel suivi de santé des populations, un débat contradictoire et citoyen sur les risques santé, l’application du principe pollueur payeur, la limitation de la pollution chronique, la mise en œuvre de mesures contraignantes vis-à-vis des industriels et des sanctions pénales exemplaires, afin qu’ils arrêtent de jouer avec notre santé et celle des travailleurEs des usines à risque.