Publié le Mardi 17 octobre 2017 à 16h45.

#BalanceTonPorc et la force des femmes

Dans la foulée de l’affaire Weinstein, dont nous vous parlions hier, un hashtag a fait son apparition sur Twitter le vendredi 13 octobre, lancé par la journaliste Sandra Muller : #balancetonporc, en suggérant à chaque femme l’utilisant de raconter son histoire et le nom de son (ses) agresseur(s). Ce hashtag a été extrêmement suivi et des milliers de femmes se sont mises à raconter agressions, violences subies, harcèlement au travail et dans la rue.

Certains éditorialistes et certaines personnalités politiques ont été rapides à condamner cette chasse aux sorcières. Ils ont expliqué que cela pouvait avoir des conséquences disproportionnées. Et si elles mentaient ? Et si elles profitaient de cet instant rare de libération de la parole des femmes pour dénoncer le voisin qu’elles n’aiment pas ? Et si ?

Pour toutes les femmes victimes de violences, l’argument est connu et même reconnu. Le soupçon est toujours de mise. Tant de barrières sont là pour empêcher de parler, de dire, de raconter les violences. Quand on raconte enfin, il faut supporter la mise en culpabilité : qu’avons-nous fait pour provoquer ça ?

N’oublions pas les chiffres qui, s’ils ne parlent pas d’eux-mêmes, permettent de mesurer l’ampleur du phénomène : 84 000, c’est le nombre de femmes qui chaque année subissent de violences sexuelles en France. 90% connaissent l’agresseur. 10% portent plainte. En 2014, seuls 5139 hommes ont été condamnés.

Not All Men

Natacha Polony a fait fort, s’inquiétant que ce hashtag brime les hommes dans leur sexualité : « Je ne voudrais pas que ce discours tourne comme souvent, que tout homme qui essaye d’exercer une séduction est potentiellement un agresseur» 1a-t-elle ainsi déclaré sur France Inter le 16 octobre. Elle évoque un glissement dans le discours des féministes. Vraiment ? Là aussi, certains rappels sont nécessaires, au sujet du traitement médiatique des violences conjugales ou de la culture du viol dans le cinéma et la publicité. Mais malgré tout l’argument revient souvent : il ne faudrait pas criminaliser les hommes, les féministes veulent criminaliser tous les hommes et stigmatiser tous les hommes comme des agresseurs potentiels.

Il va bien falloir ouvrir les yeux. Ces milliers de tweets, de posts Facebook, ces milliers de femmes qui racontent… il a bien fallu des hommes pour les agresser, pour les violer ! Ces milliers de messages qui brisent enfin le silence montrent que ces hommes qui agressent, qui harcèlent, qui violentent, ne sont pas des exceptions, des individus isolés, mais bien un problème structurel. Ce problème, c’est le système patriarcal qui éduque les hommes à dominer les femmes, à se penser supérieur, à considérer les femmes comme des objets, à se les approprier, à les agresser. Les hommes qui agressent ne sont pas des exceptions.

Il faudra retenir la position de Jean-Marc Proust sur Slate qui offre une réflexion plus intéressante en réponse à ce « Not all men » : « Je suis coupable, nous sommes, les mecs, coupables. Certes, je n’ai pas commis d’agression sexuelle. Mais je sais qu’à maintes reprises je n’ai pas été à la hauteur. En lançant parfois une blague salace, parce que je ne résiste jamais à un bon mot, et qui s’avérait déplacée. Ou bien en me murant dans le silence lâche, ou même le sourire honteux et facile, lorsque fusaient une remarque sexiste, une insulte, une proposition limite. »

Une question d’orientation

Ce #balancetonporc a eu quelque chose d’incroyablement positif : montrer, rendre visible un problème structurel. Il a permis aux hommes de ne plus pouvoir se cacher derrière des excuses. Il a permis d’ouvrir les yeux. Il a permis aux femmes de parler, de ne plus se taire, de prendre conscience qu’elles ne sont pas seules, de leur force collective en tant que femmes.

Cependant, il faut discuter de ce hashtag, de son positionnement politique, de ses conséquences, car dénoncer ne suffit pas. Il faut se battre et proposer une orientation féministe pour reconstruire un mouvement de masse contre les violences. Ce hashtag pose plusieurs problèmes que nous résumerons en trois points :

1°) Il ne faudrait pas fuir la réalité : les hommes qui agressent ne sont pas des « porcs ». Ce sont des agresseurs, des violeurs, des harceleurs. Ce sont des hommes construits par le système patriarcal. Ce mot de « porc », qui tend à souligner une « animalité » distincte de « l’humanité », voire une  « monstruosité » permet de mettre une distance en eux et nous, nous faisant oublier que ce sont notre entourage, notre frère, notre pote, notre fils, notre père, un militant…

2°) La libération de la parole est une chose importante pour toutes les femmes, mais il y a une nette différence entre le faire dans un cadre non-mixte et sur les réseaux sociaux, spécifiquement parce que le cadre non-mixte permet de savoir à qui s’adresse cette parole dans une première phase de prise de conscience et, dans une seconde phase, que cette prise de conscience provoque une mise en action : se battre, manifester, construire un mouvement de masse pour changer de société

3°) Balancer un nom n’est jamais anodin et il faut bien y réfléchir. D’abord parce que cela peut mettre en danger une victime qui ne s’y est pas préparée. Les soutiens de la victime qui dénoncent sont ici virtuels. Les conséquences que cette dénonciation provoquera sont difficilement gérables pour la victime, elle ne maîtrisera plus sa propre affaire. Les méthodes qui seront employées ne seront pas forcément celles qu’elle souhaite.

Il faut cependant nuancer : ce hashtag a rapidement mué en une dénonciation sans nom, juste pour dire « moi aussi ». Un hashtag qui est d’ailleurs apparu sur Facebook le lundi 16 octobre #MeToo, avec un copié/collé permettant de montrer que c’est un problème structurel et non une question d’individu.

Cette déferlante sur les réseaux sociaux doit se concrétiser par une transformation militante : mettre en action les femmes contre les violences, comme cela a été le cas en Argentine et en Italie avec des mouvements de masse « Ni Una Menos »/ « Non Una Di Meno ». Il faut transformer cette prise de conscience en une force collective, visible dans la rue. Le 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, sera en cela une date importante à construire. Mais parce que c’est d’un problème structurel dont on parle, c’est bien ce système que nous devrons renverser !

Mimosa Effe