Fondée en 1964, la maternité des Lilas a définitivement fermé ses portes le 31 octobre 2025 après des années de luttes. Fermée car jugée « pas assez rentable », c’est aussi une perte pour toute la pratique de l’accouchement en France.
Entretien avec Aurélie-Anne Thos, infirmière à la maternité de Tenon
Pourquoi la maternité des Lilas est-elle aussi emblématique et importante pour toutes les femmes ?
Il faut comprendre que la maternité des Lilas, c’était une pratique de l’accouchement physiologique, de l’accouchement sans douleur, à la fois précurseuse et unique en France. Mais c’était aussi un lieu d’accueil pour les femmes précaires, les hommes trans et les personnes queer, les couples lesbiens, les femmes racisées… Bref, un lieu où toute la pratique de l’accouchement était pensée de façon inclusive et dans l’écoute des femmes elles-mêmes. Elles avaient une approche féministe globale de la pratique médicale et du rapport aux corps des femmes. Bien sûr, elles étaient aussi de ferventes défenseuses de l’avortement. Cela se retrouvait également dans leurs pratiques de travail : discussions collégiales où tout le monde pouvait participer, décisions collectives sur leurs pratiques, en bref, une organisation du travail déjà révolutionnaire.
Dans l’accouchement physiologique, un temps important est consacré à l’écoute des femmes, à leur accompagnement : c’est le système qui s’adapte à elles et à leurs besoins, et non l’inverse. Mais tout ce travail prend du temps et, surtout, il s’agit très souvent d’un travail non coté, donc invisible, qui n’est absolument pas rentable.
Des actes « non cotés » ?
C’est le fameux système de T2A (tarification à l’acte) : tous les actes médicaux que nous réalisons sont « cotés » et donnent lieu à leur prise en charge par l’Assurance maladie. Le problème, c’est que tous les actes ne sont pas cotés, et pire, ils ne le sont pas de la même façon ! En définitive, la tarification à l’acte rend les maternités complètement dépendantes du nombre d’accouchements qu’elles réalisent chaque année, car c’est lui qui va être déterminant en matière de financement.
Il y a dix ans, un rapport de la Cour des comptes pointait un « sous-financement structurel des maternités, qui ne peuvent trouver un équilibre qu’à partir de 1 100 à 1 200 accouchements par an, en raison d’une déconnexion ancienne des tarifs et des coûts réels ». Aujourd’hui, c’est encore pire. En définitive, cela pourrait signifier la fermeture de toutes les maternités qui pratiquent moins de 1 200 accouchements par an !
On se dirige de plus en plus vers des « usines à bébés », des maternités qui feraient plus de 3 000 accouchements par an et dans lesquelles l’objectif serait d’aller vite : libérer vite les lits, libérer vite les salles d’accouchement, etc. On n’est plus du tout dans des prises en charge qui permettent l’installation d’une relation patiente-soignante, d’une écoute, d’un accompagnement progressif de la douleur…
Il y a de plus en plus de maternités qui ferment ?
Il y a d’abord eu un mouvement de fermeture des petites maternités qui pratiquaient moins de 300 accouchements par an. Parce qu’on s’est rendu compte que dans ces maternités on ne pratiquait pas suffisamment d’accouchements pour pouvoir être en capacité de prendre en charge des urgences au moment où elles se présenteraient. Donc, d’une certaine façon, au début, cette idée de regrouper plus d’accouchements dans les maternités n’était pas une mauvaise idée en soi, parce que cela permettait d’avoir des équipes plus formées : l’objectif était alors de diminuer la mortalité infantile.
Mais le problème, c’est que là on n’est plus dans des questions de soins, mais dans des questions de financement avec la tarification à l’activité. Une maternité qui réaliserait, par exemple comme celle des Lilas, entre 600 et 800 accouchements par an n’est plus considérée comme rentable. Il y avait près de 700 maternités en France dans les années 2000 et aujourd’hui on est autour de 450.
En France, de manière générale, il y a une baisse du nombre de naissances. Par ailleurs, avec la progression des questions de violences obstétricales et gynécologiques, il y a aussi la recherche d’une maternité un peu différente, moins médicalisée, voire un retour à l’accouchement à domicile. Par exemple, à la maternité où je travaille, nous avons fait 2 150 accouchements en 2024, mais cette année nous n’atteindrons peut-être pas les 2 000 : c’est une source de stress pour l’équipe car cela aura des conséquences sur notre budget.
La maternité des Lilas, c’était tout ce que la société capitaliste déteste : moins de 1 000 accouchements par an et, surtout, un principe — ‘une femme, une sage-femme’ — pour que les femmes puissent accoucher dans de bonnes conditions. Et ça, ça coûte trop cher, et finalement cela aura conduit à la fermeture.
Il y a eu plusieurs propositions de reprises pour la maternité des Lilas…
Oui ! Notamment à Montreuil et à Tenon, là où je travaille, mais toutes les propositions qui ont été formulées pour la maternité des Lilas étaient des propositions où elles perdaient cet acquis concernant ‘une femme, une sage-femme’. Ce n’était pas envisageable de pouvoir continuer dans des conditions qui ne seraient plus celles de la maternité des Lilas.
Finalement, de nombreuses femmes perdent une maternité de proximité dans laquelle existait une pratique de l’accouchement physiologique, qui était une forme extraordinaire d’accompagnement dans un moment si important de la vie des femmes.
En plus de la maternité, c’est une approche qui est complètement perdue. Il n’y aura pas de maternité qui puisse reprendre ce travail-là, dans les conditions qui sont celles d’aujourd’hui. Donc, en réalité, quand la maternité des Lilas ferme, ce sont toutes les maternités qui perdent cette recherche collective, cette pratique de l’accouchement physiologique. Il ne faut pas perdre espoir : nous pouvons et nous devons lutter pour faire vivre l’esprit de la maternité des Lilas. Cela passera par l’exigence de respecter ce ratio ‘une femme, une sage-femme’ et donc de débloquer des moyens pour imaginer une maternité différente, moins médicalisée et qui s’adapte réellement aux besoins des femmes.
Propos recueillis par la rédaction