Le socialisme français ne s’est doté d’un parti unifié qu’en 1905, lorsque le congrès du Globe aboutit à la création de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO). Ce congrès d’unification résultait toutefois moins de la volonté des socialistes français de se doter d’un parti commun que de l’intervention de la IIe Internationale qui avait décidé de contraindre ses différents groupes français à fusionner dans un parti unique.
Un mouvement socialiste originellement très divisé
L’éclatement du mouvement socialiste était alors considéré comme la première cause de sa faiblesse puisqu’il faisait alors piètre figure à côté du puissant Parti social-démocrate allemand dont la fondation remontait à 1875. De fait, les socialistes français présentaient une forte hétérogénéité : le marxisme avait acquis une réelle hégémonie, mais il devait toutefois cohabiter avec d’autres traditions issues de l’anarchisme, du jacobinisme et du blanquisme. Surtout, il était divisé en de multiples chapelles plus ou moins sectaires, comme celles que dirigeaient Jules Guesde, Paul Brousse, Édouard Vaillant ou Jean Allemane.
Par ailleurs, le socialisme français se caractérisait par la forte opposition entre un mouvement proprement ouvrier, organisé dans le cadre des syndicats de métiers qui s’était regroupés en 1895 dans la Confédération générale du travail (CGT), et une fraction parlementaire pour l’essentiel issue de la bourgeoisie républicaine. Le socialisme français était largement dominé par les personnalités de politiciens bourgeois, à l’exemple de Jean Jaurès, professeur de philosophie à la faculté des lettres de Toulouse puis député républicain, qui avait progressivement glissé vers le socialisme après avoir découvert l’ampleur de la misère ouvrière. Attachés à leur indépendance, certains de ces élus refusèrent d’adhérer au nouveau parti, à l’exemple de l’avocat franc-maçon Alexandre Millerand, qui après être lui aussi passé du radicalisme au socialisme, avait poursuivi une brillante carrière parlementaire qui lui a ouvert en 1899 les portes du gouvernement...
Prise de distance avec le mouvement ouvrier et insertion dans l’État
Les méfiances que pouvaient susciter ces politiciens bourgeois amenèrent les syndicalistes ouvriers à prendre leurs distances avec la SFIO, ce qui amena la CGT à adopter en 1906 la charte d’Amiens qui affirmait sa totale indépendance envers le nouveau parti. À la différence des travaillistes anglais ou des sociaux-démocrates allemands, le parti français se construisit donc dans le cadre d’une totale séparation organique avec les syndicats, ce qui l’amena à cantonner l’essentiel dans son activité sur le terrain électoral et parlementaire.
Par ailleurs, le caractère très républicain des socialistes français les conduisit à considérer que la République avait pour l’essentiel résolu les questions démocratiques dans leur pays. À la différence des partis proprement sociaux-démocrates, qui luttaient à la fois pour l’émancipation sociale et démocratique, la SFIO ne mena donc pas un combat spécifique sur le champ politique, acceptant les institutions républicaines et y participant largement. De fait, si les jauressiens durent accepter en adhérant à la SFIO de ne plus participer aux gouvernements bourgeois, ils n’en continuèrent pas moins à soutenir ceux des députés socialistes qui, refusant de renoncer à une carrière ministérielle, quittèrent la SFIO pour fonder en 1911 le parti républicain-socialiste.
Laurent Ripart