Publié le Jeudi 16 février 2017 à 22h08.

La révolution dans la culture et le mode de vie. Russie soviétique (1917-1927)

Nicolas Fornet, Les bons caractères, 2016, 8,20 euros. 

Deux travers pèsent sur les représentations courantes de la Révolution russe. D’abord, sa quasi-réduction à ses aspects strictement politiques (prise du pouvoir, débats parmi les bolcheviks, etc.). Ensuite, une vision qui, pour ce qui est de la vie et de la culture des Soviétiques, réduit l’URSS à la grisaille et à la triste normalité staliniennes. Tout cela a un même résultat : occulter le formidable bouleversement social et culturel intervenu de 1917 à 1927 (année où l’on peut considérer que la contre-révolution bureaucratique est accomplie).

Pour les dirigeants bolcheviks, les questions culturelles ne doivent pas être renvoyées à un futur incertain mais sont d’une importance immédiate. Sous une forme très synthétique, l’ouvrage de Nicolas Fornet a le mérite de passer en revue l’immense œuvre de transformation entreprise malgré la guerre civile et l’agression étrangère. Éducation et pédagogie, émancipation des femmes, des nationalités opprimées et des juifs, droits des homosexuels, rapports avec les religions, théâtre, cinéma, musique, peinture, architecture, etc. : tout cela est saisi par le vent de transformation impulsé par le nouveau pouvoir mais aussi par ceux et celles qui sont directement concernés. La lutte contre l’analphabétisme et pour l’éducation est une priorité : il s’agit de donner à chacun dans les plus brefs délais la capacité de s’inscrire dans les transformations en cours. Dans la population se répand une soif de savoir et de culture tandis que beaucoup d’acteurs culturels se rallient à la révolution et acceptent des postes officiels, à l’instar des peintres Chagall et Malevitch.

Nicolas Fornet n’escamote pas les difficultés auxquelles s’est heurtée cette œuvre transformatrice. Le manque dramatique de moyens pèse lourdement, mais aussi les conflits entre institutions nouvelles décentralisées et administrations vite bureaucratisées. Les mesures législatives ne signifient pas toujours la fin des préjugés et des comportements discriminatoires, tant vis-à-vis des femmes que des homosexuels. Les conflits au sein du monde culturel sont exacerbés (et par certains aspects ont une résonance encore actuels) : de quel art la révolution a-t-elle-besoin ? Certains des partisans du nouveau régime veulent envoyer au rancart la culture classique et promouvoir une « culture prolétarienne », ce qui suscite le scepticisme de Lénine et Trotski. Les avant-gardistes, tenants des formes nouvelles parfois les plus échevelées en peinture, musique et théâtre, ont pleine liberté mais sont souvent incompris des secteurs populaires, tandis que s’y opposent les tenants du Proletkult.

On peut juger que l’auteur passe un peu vite sur certaines évolutions, comme la fin progressive mais assez rapide de la liberté de la presse. Par ailleurs, les tracasseries ou les difficultés matérielles amèneront certains créateurs à quitter la Russie. Mais, au total, cet ouvrage, facilement accessible, rend compte d’une époque de bouillonnement et de progrès immenses, où comme l’a écrit le musicien Chostakovitch : « on chargeait un piano sur un camion et on allait donner des concerts dans les fabriques et les usines, les unités militaires »

Henri Wilno