Publié le Mardi 1 novembre 2011 à 16h37.

L'affaire Maurice Audin

A l'approche de la célébration du cinquantenaire de l'indépendance d'Algérie et de la commémoration du massacre du 17 octobre 1961, nous avons voulu donner la parole à Gérard Tronel, trésorier de l'Association Maurice Audin, qui milite pour la dénonciation de cet autre crime d' Etat qu'est l'enlèvement, la disparition, la torture et le meurtre de Maurice Audin, 25 ans, mathématicien et combattant pour l'indépendance de l'Algérie. Sans pathos mais avec détermination et acharnement, l'Association Maurice Audin lutte pour obtenir Vérité et Justice.

C'est le 11 juin 1957 que les paras arrêtent et enlèvent sans aucun mandat, Maurice Audin, membre du Parti Communiste Algérien et combattant anticolonialiste. Il lui est reproché d'avoir hébergé Caballero, secrétaire du PCA, soigné par un autre militant communiste, le docteur Hadjaj. Le PCA étant alors interdit, Audin pouvait tomber sous le coup d'une accusation pour «reconstitution de ligue dissoute».

Aucune condamnation, même par contumace, n'a été prononcée à l'encontre de Audin. Josette sa femme, ne le reverra jamais, son corps n'a jamais été retrouvé. Cette terrible histoire constitue, sur la base du récit qu'en fait sa veuve, la matière du livre de l'historien Pierre Vidal-Naquet*: L'Affaire Audin.

Depuis 1957, Josette Audin, bien que persuadée de sa mort sous la torture, tente sans répit de retrouver la trace de son mari. Henri Alleg et le docteur Hadjaj, eux mêmes torturés, sont les derniers à l'avoir vu vivant, indéniablement soumis à la torture lui aussi.

Aucune poursuite ne sera engagée, ni les tortionnaires ni les responsables politiques ne seront inquiétés; pire, ils seront blanchis. Malgré les aveux du sinistre Aussaresses.

Josette Audin doit quitter l'Algérie à l'arrivée de Boumédienne**. Jusque là elle n'avait eu que peu d' informations sur l'activité du Comité Audin dont l'action se limitait à la France.

Elle écrit des lettres aux autorités françaises, qui restent sans réponse; au mieux un simple accusé de réception!Elle dépose des plaintes qui aboutissent à des non lieu. Audin a été assassiné, mais ce crime d'Etat n'a toujours pas été reconnu par la France, et Maurice Audin n'est toujours pas réhabilité. Ce crime d'Etat est bâti sur une série de mensonges pour justifier une «évasion».

Toutes les démarches effectuées auprès des gouvernements français successifs, de droite comme de gauche, sont restées lettre morte. Ce n'est que récemment que la sénatrice Nicole Borvo Cohen Seat a posé une question orale au Ministre de la Défense. Aucun parlementaire n'ose poser la question à l'Assemblée Nationale ou au Sénat; certainement par crainte de voir d'autres affaires du même ordre émerger si on permet à celle ci de sortir de l'ombre, d'avoir à rendre des comptes: «Qu'avez vous fait des nôtres?»

Il faut imaginer, si tant est que ce soit possible, ce qu'a été, et ce qu'est encore la vie de Josette Audin

à qui tout travail de deuil a été rendu impossible; ce qu'est celle de ses enfants et petits enfants, aux prises avec une manipulation de l'Histoire qui fait passer leur père et grand père pour un traître, lui qui était un combattant pour la liberté et le droit des peuples à disposer d'eux mêmes. Hommage et recueillement leur sont interdits. Josette Audin vit une situation comparable à l'attente du retour des survivants, une très longue attente dans la dignité. Un combat de plus en plus épuisant, solitaire, car les membres vieillissants du Comité Audin disparaissent.

En 1957, le comité Audin a été impulsé par une poignée d'intellectuels, notamment de mathématiciens, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet, Jacques Panijel, Luc Montagnier (qui a découvert le VIH), Madeleine Rebérioux. Au plus fort de la Guerre d'Algérie, le Comité a compté 2 à 3 milliers de membres d'horizons divers sans véritable débat sur le fond.

L'historien Benjamin Stora, qui s'est aussi intéressé à cette affaire, ne peut cependant se départir d'une certaine ambigüité, lui pour qui, comme pour Camus, les Algériens étaient les Européens d'Algérie.

Il est très difficile de mobiliser autour de ce crime colonial: destruction des archives, mutisme des autorités françaises, disparition des écrits de Maurice Audin, aucune trace de ses tracts.

Le vocabulaire est manipulé, les Algériens sont déshumanisés, on parle encore des évènements et non pas d'une guerre. Ce n'est que récemment que le gouvernement de Lionel Jospin a requalifié les évènements en Guerre d'Algérie, les crimes de guerre étant imprescriptibles. Il semble que la violence du discours conditionne la violence des actes. Espérons qu'il existe des possibilités d'envisager des actions pour connaître enfin la vérité sur la mort de Maurice Audin et le sort de tous les disparus de la Guerre d'Algérie.

L'une des organisations a s'être réellement engagée en tant que telle est la CGT.

Le slogan du PCF et du peuple français était «Paix en Algérie», ce qui n'impliquait pas clairement la revendication d'indépendance ni la reconnaissance du FLN comme interlocuteur.

Maurice Audin est reconnu comme héros de la Résistance algérienne. Une place porte son nom à Alger-Centre, mais elle n'a officiellement été inaugurée qu'en 1970 et les tentatives de la débaptiser reviennent périodiquement.

On en est réduit aux suppositions devant ce silence implacable des autorités françaises. Peut-être est il mort, admis sous un faux nom, à l'hôpital de Blida, où avait exercé Frantz Fanon jusqu'à son expulsion. Il y a environ 3 ans, lors d'une exposition organisée par la FNACA, un homme s'est approché de ma femme et lui dit: «Audin, celui là on ne l'aimait pas et il l'a payé!»

Des témoins disposent sûrement d'informations mais se taisent.

Malgré le découragement et la lassitude l'Association ne perd pas espoir, se référant à la reconnaissance récente de l'existence de fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914 .

On nous reproche de militer pour une seule personne. Mais c'est un cas tellement emblématique; à travers lui, c'est l'utilisation de la torture, c'est le crime d'Etat que l'on dénonce. Agir pour cette reconnaissance, c'est aussi agir pour connaître la vérité sur d'autres crimes d'Etat comme ceux de Henri Curiel, Ali Boumendjel, Mehdi Ben Barka et d'autres, notamment des Algériens.

C'est tenter de réhabiliter ces femmes qui ont été elles aussi des héroïnes de la Résistance et qu'on laisse dans la misère, c'est mettre en lumière des militants comme Daniel Timsit, Henri Maillot ou Fernand Yveton, résistants français à la guerre d'Algérie.

C'est ouvrir une brèche dans ce mur de silence, jusqu'à le faire tomber.

On peut voir dans le cas Audin certaines similitudes avec l'Affaire Dreyfus, à la différence que le Capitaine Alfred Dreyfus , injustement condamné, a été réhabilité.

Alors que le chef d'accusation contre Audin, s'il est peut être juridiquement fondé, ne justifie en rien le sort qu'il a subi: la détention, la torture et la mort relèvent de l'ignominie. Il était un homme à abattre, celui qui soutenait les étudiants algériens et défendait des positions anticolonialistes.

Malheureusement, pas de J'accuse pour Maurice Audin. Ni Albert Camus, ni Jean-Paul Sartre n'ont voulu être le Zola de cette affaire.

Pour rappeler le sacrifice de Maurice Audin, un prix Audin de mathématiques est remis depuis 2003 à deux lauréats, l'un exerçant en Algérie, l'autre en France. En mai 2012 ce prix sera décerné à la BNF. Nous espérons qu'à l'occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d'Algérie, un pas important pourra être fait vers la vérité sur la mort de Maurice Audin et de milliers d'Algériens tombés pour une Algérie indépendante et fraternelle.

Nous avons besoin de la vérité avant que le temps ne permette à des négationnistes de falsifier cette histoire.

Propos recueillis par Gisèle Felhendler et Bertold du Ryon

Notes de la rédaction:

* Pierre Vidal-Naquet, fondateur du Comité Audin, essentiel entre 1957 et 1963, dont les buts ont été repris par l'Association Maurice Audin en 2003.

** Houari Boumedienne, ministre de la Défense du premier Président Ahmed Ben Bella de 1962 à 1965, arrivé au pouvoir par un coup d' Etat militaire le 19 Juin 1965. Il a cherché à éliminer tous les Communistes restés en Algérie après la signature des accords d'Evian.