Dans l’histoire du mouvement socialiste, le congrès d’Épinay (1971) constitue une césure essentielle dans la mesure où il permit de transformer la vieille SFIO à bout de souffle en un nouveau Parti socialiste (PS), lui donnant la force d’entraînement nécessaire pour le propulser en dix ans au pouvoir.
Une réponse à l’épuisement de la SFIO
Le congrès d’Épinay constituait l’aboutissement du processus de rénovation que la direction de la SFIO avait dû mettre en place après que son candidat Gaston Defferre avait obtenu le score de 5 % à la présidentielle de 1969. Au-delà d’un ravalement de façade, qui permit le passage de la SFIO au PS ou encore du vieux logo aux trois flèches à celui à la rose au poing, le congrès d’Épinay se présentait aussi comme un congrès de fusion de l’essentiel de la gauche non communiste, la vieille SFIO ayant obtenu l’adhésion de quelques clubs et petits partis, parmi lesquels la Convention des institutions républicaines, un très modeste rassemblement de centre-gauche dirigé par François Mitterrand...
Le congrès d’Épinay se voulait aussi une réponse à l’épuisement de la SFIO qui ne comptait plus à la fin des années 1960 que 70 000 militants. Déconsidérée par les guerres coloniales, par son insertion dans la 5e République, mais aussi par son incapacité à saisir les nouvelles aspirations sociales, la SFIO ne pouvait survivre qu’en faisant peau neuve. Surtout, les nouvelles institutions de la 5e République lui imposait de modifier profondément sa stratégie, puisque le scrutin majoritaire ne lui permettait plus de maintenir ses anciennes alliances avec un centre en voie de disparition, ne lui laissant d’autre choix qu’une alliance avec le PCF, ce qui n’était pas simple pour un parti profondément imprégné par l’atlantisme et l’anticommunisme.
Grandes surenchères à gauche et petites manœuvres d’appareil
Surfant sur les aspirations issues de mai 1968, le congrès d’Épinay visait ainsi à donner un nouveau vernis idéologique à l’alliance opportuniste que les socialistes français étaient en réalité contraints de conclure avec le PCF. Dans ces conditions, les congressistes se livrèrent à une surenchère verbale afin de se poser en garants du caractère révolutionnaire et anticapitaliste du nouveau PS. La palme revint à François Mitterrand qui, pour mieux faire oublier qu’il n’avait jamais été socialiste, expliqua qu’entre réforme et révolution, il choisissait ce deuxième terme, avant de se prononcer pour « la propriété collective des grands moyens de production, d’échange et de recherche », puis d’ajouter que « celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, ne peut être adhérent du parti socialiste » !
Ce verbiage marxisant couvrait en pratique un pur jeu bureaucratique. Au-delà de l’opération de communication, le congrès d’Épinay était destiné à permettre au vieux Guy Mollet, leader historique de la SFIO, de transmettre le flambeau à Alain Savary, l’héritier qu’il avait choisi. À la surprise générale, la route du pouvoir lui fut barrée par François Mitterrand qui, malgré sa quasi-absence de troupes, parvint à coaliser les mécontents de tout bord et, avec l’aide de Mauroy, Defferre et Chevènement, à mettre en minorité Alain Savary pour s’emparer du poste de premier secrétaire.
L’opinion publique retint cependant du congrès d’Épinay que la création de ce nouveau parti socialiste, et l’annonce de sa prochaine alliance avec le PCF, la dotait d’un outil permettant à la gauche d’accéder au pouvoir. La signature en 1972 du « programme commun de gouvernement » entre le PS, le PCF et le Mouvement des radicaux de gauche, donna à cet espoir de transformation sociale une nouvelle crédibilité, qui permit à Mitterrand d’obtenir 49 % des voix à la présidentielle de 1974 puis, après être passé devant le PCF à l’occasion des législatives de 1978, d’accéder enfin au pouvoir en 1981.
Laurent Ripart