La commémoration du 11 novembre 1918 a été préparée par une « mission centenaire » qui constituait l’un des outils mémoriels mis en place par Sarkozy pour imposer un retour au « récit national ». Placée sous l’autorité du ministère de la Défense, dotée d’un conseil d’administration présidé par un général, cette « mission » a bénéficié du relais de l’Éducation nationale et des universitaires les plus serviles. Il s’agissait pour l’État de profiter des commémorations de la Grande Guerre pour en imposer une relecture patriotique et militariste, destinée à célébrer « la nation combattante ».
Reprenant à leur compte la « mission centenaire », son fonctionnement et ses objectifs, Hollande puis Macron ont montré que la droite sarkoziste n’a pas le monopole de la relecture réactionnaire de l’histoire. Le PS se montre d’ailleurs, sur ce point au moins, fidèle à l’héritage de ses fondateurs, ces sociaux-démocrates qui avaient tourné le dos en 1914 aux principes de l’Internationale pour gérer avec la bourgeoisie cette guerre criminelle. Du PS à LR, c’est bien la vieille Union sacrée qui a communié pour imposer un récit militariste et mensonger, basé sur cinq entourloupes majeures.
La première entourloupe est d’affirmer que les morts de 1914-1918 auraient « choisi de mourir pour cette cause sacrée : la France », comme l’a affirmé Macron dans son discours du 6 novembre. Un véritable négationnisme historique. Quel choix ont eu les Sénégalais raflés dans les colonies ? Quels choix ont eu les paysans français envoyés sur le front et qui savaient qu’au moindre pas en arrière les attendait le peloton d’exécution ? Certes, la culture nationaliste imprégnait la jeunesse française, mais quel libre choix pouvait-elle avoir, après avoir subi depuis l’enfance la propagande patriotique déversée par l’école, l’église mais aussi l’armée à travers son service militaire de trois ans ? Les idées dominantes sont les idées de la classe dominante et celle-ci s’était attachée à entretenir par tous les moyens un chauvinisme exacerbé que nul n’avait le choix d’éviter.
La deuxième entourloupe est de nous faire croire que la Première Guerre mondiale aurait été un combat pour « la liberté ». Faut-il penser à la liberté des AlsacienEs, auxquels ni l’Allemagne ni la France n’ont jamais songé à demander l’avis ? Ou alors celle des populations du Togoland, cette colonie allemande que la France et l’Angleterre se partagèrent au canon dès août 1914 ? Ou encore aux libertés démocratiques que les États belligérants ont supprimées, faisant arrêter tous les opposantEs à la guerre et censurant la presse ? La réalité est que, dans cette guerre, les États n’ont rien défendu d’autre que leurs intérêts impérialistes et ont foulé aux pieds les libertés des peuples.
Troisième entourloupe : expliquer que l’armée française a vaincu l’Allemagne. La réalité historique est bien différente : si, depuis l’été 1918, l’armée allemande était en difficulté, elle était loin d’être défaite puisque, le 11 novembre 1918, les Alliés n’occupaient pas un pouce du territoire allemand. L’Allemagne n’a capitulé que pour une simple raison : depuis que le 29 octobre 1918, les marins de la base de Kiel s’étaient mutinés et avaient mis en place une république soviétique, les gouvernements allemand et autrichien avaient perdu le contrôle de leurs troupes et les empires centraux étaient en train de basculer dans une révolution socialiste. La bourgeoisie allemande était patriote, mais elle préférait encore le joug franco-anglais aux bolcheviks ; elle courut à Rethondes obtenir un armistice et surtout le soutien des Alliés pour réprimer dans le sang l’insurrection communiste.
La quatrième entourloupe est d’affirmer que « la victoire française » aurait permis de créer « un monde de paix ». Comment peut-on considérer que le Traité de Versailles aurait pu apporter la paix au monde, alors même que l’ordre injuste qu’il a mis en place n’a fait qu’exacerber les tensions nationalistes, ouvrant la voie à une Seconde Guerre mondiale encore plus barbare que la première ? Comment peut-on penser que la création d’un foyer national juif en Palestine ou le dépeçage de l’empire ottoman, dont les peuples du Proche-Orient payent encore le prix, aurait été un acte de paix ? La guerre n’a abouti qu’à la mise en place d’un nouvel ordre impérialiste, dont l’injustice et les contradictions ont été à la source de toutes les horreurs qu’ont subies les peuples du XXe siècle.
La cinquième entourloupe a été ouverte par Macron lorsqu’il a ressorti de son placard le vieux discours de l’extrême droite visant à réhabiliter Pétain comme « grand soldat ». Il faut le dire et le répéter : les généraux qui ont dirigé la grande boucherie font partie des plus grands criminels de l’histoire et nos morts ne trouveront la paix que lorsque les Joffre et autres Foch rejoindront Pétain dans l’indignité nationale. Il n’y a pas deux Pétain pour la bonne et simple raison qu’il existe une continuité entre le militarisme de la Grande Guerre, qui a servi de chaudron à l’idéologie fasciste, et son entretien par les ligues d’anciens combattants, qui se sont attachés à en cultiver le souvenir avant de soutenir l’ordre nazi.
Cette réécriture de l’histoire a une fonction. À l’heure où l’ordre néo-libéral s’organise chaque jour un peu plus autour de la concurrence de plus en plus armée des grandes puissances, elle vise à légitimer ce nouveau militarisme. Elle fait partie d’une politique globale qui se traduit en particulier par la mise en place d’un nouveau Service national universel, destiné à faire subir à la jeunesse française un « enseignement d’éducation civique » dispensé par l’armée. Face à ces bruits de botte, il nous faut plus que jamais reprendre le cri de Craonne, en maudissant la guerre et la république qui la célèbre !
Laurent Ripart