Dans les années 1960, Renault Billancourt, c’était, aux portes de Paris, une usine de 38 000 travailleurs avec des milliers de syndiqués. Une « forteresse ouvrière » !
En Mai 68, la grève et l’occupation de l’usine de Billancourt démarrèrent le 16 mai, au lendemain de celle de Renault Cléon. Internet et les réseaux sociaux n’existaient pas, mais le téléphone si ! Au tout début sans consigne, le mouvement se généralisa rapidement avec le sentiment que cette fois-ci, on devait tous y aller. En moins de deux jours, la grève était totale, la production arrêtée. Renault Billancourt occupé, cela voulait dire au sens strict les patrons dehors, la haute hiérarchie réfugiée aux Champs-Elysées, et toute l’organisation de la vie dans l’usine avec les machines et les travailleurs sous le contrôle exclusif des syndicats.
Une grève massive conduite par la CGT et l’intersyndicale
L’absence de structures significatives d’auto-organisation s’est observée à Billancourt comme dans la plupart des autres usines en France. L’intersyndicale animait seule assemblées générales et commissions catégorielles. Fait peu noté dans le récit dominant, les travailleurs immigrés, plus disponibles, constituaient la majorité des occupants de l’usine. Prenant le relais des générations ayant participé aux luttes anticoloniales, les premières revendications autonomes des travailleurs immigrés y furent discutées et élaborées. Signe annonciateur des crises futures, elles n’eurent pas droit à être présentées en assemblée générale au même titre que celles des autres catégories professionnels dûment reconnues : OS, professionnels, employés, techniciens ou cadres.
Le vendredi 17 mai les étudiants organisèrent devant l’usine une manifestation « pour la convergences des luttes » dirait-on aujourd’hui... Mais à l’époque CGT et PCF, vent debout contre le mouvement étudiant, bloquèrent tout contact massif avec les ouvriers occupant l’usine, même si quelques-uns furent attentifs à leur venue, discutèrent dans les cafés autour de l’usine, et pour certains se rendirent à la Sorbonne occupée.
Le refus des accords de Grenelle
Preuve de ce que représentait alors l’usine, le 27 mai c’est bien devant les travailleurs de Renault que le secrétaire général de la CGT d’alors, Georges Séguy, présenta les conclusions de l’accord négocié « à Grenelle » entre gouvernement, patronat et syndicats. Le responsable de la CGT Renault en mai 1968, Aimé Halbeher, explique aujourd’hui que le syndicat CGT Renault s’était prononcé contre le protocole d’accord quelques heures avant l’assemblée de l’Île Seguin... Mais ce que la majorité des travailleurs en France a retenu, c’est le désaveu des milliers d’ouvriers de Renault réunis en assemblée générale.
À l’encontre de la politique du PCF et de la CGT visant à contenir le mouvement dans des limites revendicatives, la grève générale se révélait politique au sens où elle portait l’espoir d’un autre monde et posait la question du pouvoir dans cette société.
Plus rien comme avant
Le gouvernement De Gaulle reprit l’initiative, mais l’occupation de Billancourt dura jusqu’au 17 juin. Le travail reprit dans l’usine avec certes les mêmes cadences et les mêmes chefs, mais aussi avec la fierté au cœur de milliers d’ouvriers qui avaient tenu tête pendant des semaines au pouvoir patronal.
Les conséquences de cet ébranlement formidable n’ont cessé de se manifester les années suivantes : les syndicats avaient conquis le droit de tenir des réunions dans l’usine, les OS de l’automobile faisaient valoir leurs revendications et les grèves nombreuses éclatant dans l’usine se dotaient parfois de comités de grève.
Patrick Schweizer et Jean-Claude Vessillier