Publié le Mercredi 6 décembre 2017 à 21h26.

Un immense espoir déçu

Été 1967. Un été chaud, les villes nord-américaines s’embrasent, ce sont les émeutes les plus meurtrières que les États-Unis aient connues. Le long métrage de Kathryn Bigelow Detroit, sorti en France en octobre, a le mérite d’en témoigner. Mais le film se concentre sur un fait isolé, une nuit particulièrement dramatique, la tragédie de l’Algiers Motel. Il ne permet pas de saisir le contexte et l’histoire qui a enfanté les émeutes ni leur signification ni leur dimension historiques.

Nous voudrions aborder l’été 1967 sous cet angle : un contexte, un moment particulier de la lutte des Afro-AméricainEs, où leur combat atteint son paroxysme alors que la conquête des droits civiques s’avère ne rien changer dans leur vie, en particulier dans les villes industrielles du Nord où vit un important prolétariat noir. 

Si Detroit connaîtra une répression particulièrement violente, 43 morts dont 33 Afro-AméricainEs, ce sont 159 villes qui sont touchées. La première est Newark, dans le New Jersey. L’insurrection démarre le 12 juillet et fera 26 morts, ensuite Detroit, le 23 juillet, puis les autres villes. Au total, 83 personnes tuées, des milliers de blessés, des quartiers dévastés.

Le monde voit les villes américaines s’enflammer alors que les USA sèment la mort au Viêtnam et la haine dans le monde entier. Un immense espoir se forme, l’espoir que la révolte des peuples coloniaux combinée à celle de la communauté la plus opprimée au cœur de la citadelle impérialiste puisse bouleverser le monde.

« I am not your Negro »

C’est cette période qu’évoque le magnifique film de Raoul Peck, I am not your Negro, qui se fait le porte-parole de James Baldwin, de son puissant récit du combat de trois grandes figures des droits civiques, Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King, assassinés en 1963, 1965 et 1968. « Nous autres, noirs américains, nous vivons dans un pays où l’espoir n’existe pas. Nous sommes des hommes sans avenir » écrivait-il peu avant les émeutes. «Tout cela finira mal ! Car l’Amérique, c’est aussi notre pays à nous, les Noirs. Le Blanc – en nous reniant –se renie lui-même ! »

La plaie demeure aujourd’hui béante, témoin douloureux de l’incapacité de la classe dirigeante, de son État d’en finir avec le racisme comme avec toutes les discriminations, tant il est vrai qu’elles sont le produit barbare de la société d’exploitation, de la folie des esprits manipulés qui cherchent des boucs-émissaires à leur propre misère. 

La vague révolutionnaire des années 1960 n’a pu en venir à bout. Elle a brisé les liens formels, juridiques de l’oppression raciale ou coloniale, mais le nouvel essor du capitalisme qui a suivi les a entretenus dans la réalité des rapports d’exploitation mondialisés. 

L’immense espoir né alors indique la voie pour la révolution à venir : attaquer la question à la racine, briser les rapports d’exploitation, de domination dans la réalité des rapports sociaux, jusque dans la conscience même des opprimés. Une révolution qui sera l’œuvre du prolétariat…

Dossier réalisé par Stan Miller et Yvan Lemaître