Publié le Lundi 22 avril 2013 à 09h36.

Elections italiennes : ni rire, ni pleurer, comprendre

Par Henri Wilno

Les élections italiennes ont suscité des réactions allant de l’ironie à la désolation. Du côté du rire, les commentaires du type « les deux comiques ont gagné ». Sont ainsi désignés Beppe Grillo (26,5 % des voix)  et Berlusconi (29,2 %) par opposition aux deux candidats « sérieux » : l’ex-premier ministre Monti (qui s’est ramassé une veste avec 10,5 %) et le candidat de la gauche sociale-libérale Bersani du Parti démocrate, issu de l’ancien PC italien (29,5 %). Ces deux candidats sérieux que Bruxelles, et plus globalement la finance internationale, auraient bien vu gouverner ensemble pour donner une assise électorale incontestable à la politique d’austérité et de casse des acquis sociaux poursuivie depuis novembre 2011 par « Super-Mario », ancien de la Commission européenne et de Goldman Sachs.

Côté désolation, ce sont les tirades sur les « deux populismes », la victoire de ceux qui donnent des illusions aux peuples, toujours par rapport aux « gens sérieux ».

Un résultat qui vient de loin

Au-delà de ces caricatures, il faut rappeler quelques vérités. Beppe Grillo a pu capitaliser l’écœurement d’une grande partie des Italiens face à une classe politique qui a, dans son ensemble, soutenu à un moment ou un autre le démantèlement des droits sociaux et l’austérité, pendant qu’une partie de ses membres s’en mettait plein les poches, quel que soit le parti. Par ailleurs, les directions syndicales majoritaires, divisées et globalement sur une orientation peu combative (avec des nuances du côté de la CGIL – équivalent de la CGT française), n’ont pas empêché  une précarisation du salariat qui atteint un degré dont la France est encore loin. Le  mouvement « Cinq étoiles » arrive en première position parmi les ouvriers et les indépendants (entrepreneurs, artisans), avec 40 % des votants de ces catégories, et parmi les chômeurs (43 %).

Un autre échec (à 2,25 % des voix) doit être signalé, celui de la coalition « Révolution civile » associant pêle-mêle des centristes, les Verts et des débris de la gauche de l’ancien PCI. Parmi ceux-ci, le parti de la Refondation communiste qui avait représenté un réel espoir. Fondé en 1991, par un rapprochement entre une minorité du PCI (celle qui avait refusé sa transformation en parti démocrate) et des courants d’extrême-gauche, il s’était inséré dans le mouvement altermondialiste et avait manifesté une réelle indépendance par rapport aux combinaisons politiciennes. Mais la majorité de sa direction a opéré en 2006-2008 un tournant opportuniste, allant jusqu’à soutenir l’ancien président de la Commission européenne, Prodi, au nom du « Tout sauf Berlusconi ». C’est à ce moment que ce parti a été abandonné par ses militants les plus à gauche, qui obtenaient environ 30 % des mandats dans les congrès, mais n’avaient pas réussi à casser définitivement un certain nombre de réflexes hérités de l’ancien PCI.

La vieille gauche italienne est donc morte. Enfoncée dans un social-libéralisme sans rivage ou réduite à des groupes sans perspective qui viennent de subir un nouvel échec électoral.

Il y a dans le vote pour la coalition de Beppe Grillo une volonté positive d’indépendance par rapport aux partis installés, des revendications radicales (réduction du temps de travail, revenu de citoyenneté, remise en cause de la dette) et une exigence de contrôle de la construction européenne. Mais aussi une coupure vis-à-vis des mouvements sociaux et une hostilité envers les syndicats, quelle que soit leur orientation. On trouve également des déclarations très problématiques de Grillo sur l’immigration et vis-à-vis du mouvement néofasciste CasaPound Italia. Par ailleurs, derrière la « démocratie internet » se cache une concentration du pouvoir autour de Beppe Grillo.

Dans le clair-obscur

Autant on peut comprendre le vote Beppe Grillo (avec le désir de hurler « A casa tutti ! »), autant ce mouvement n’offre aucune perspective pour un  projet émancipateur. Le« grillisme » est un des indices de l’extension de la crise économique à la sphère politique et de la recherche de raccourcis face à la difficulté d’une coordination offensive des mouvements de résistance. Le théoricien communiste italien Antonio Gramsci a écrit en son temps : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».Nous sommes bien dans une situation de désorientation, de « clair-obscur »  mais les monstres du présent, ce sont l’Aube dorée en Grèce, Marine Le Pen, le Jobbik hongrois, etc., pas les électeurs « grillini »aux aspirations confuses !  

Après les élections, les enjeux demeurent les mêmes en Italie : unifier les résistances éparses, renforcer le syndicalisme de classe et donner une perspective politique pour battre cette offensive sans fin contre les droits sociaux.  De ce point de vue, le mouvement de Beppe Grillo est une impasse mais se contenter de la dénonciation  serait une erreur : une politique offensive par rapport aux aspirations de ses électeurs sera nécessaire.