Publié le Dimanche 21 septembre 2025 à 09h00.

Entretien. « L’UJFP ne fait rien d’autre que rappeler le droit international – notamment le droit à la résistance armée »

Entretien avec Béatrice Orès, co-présidente de l’UJFP

L’Union juive française pour la paix (UJFP) a été perquisitionnée. Le NPA-L’Anticapitaliste vous apporte, bien entendu, tout son soutien. Peux-tu nous expliquer ce qui se passe ?

En 2024, l’association « Jeunesse française juive » a porté plainte contre l’UJFP pour « apologie du terrorisme » à la suite de la publication de deux communiqués sur notre site, datés du 7 et du 12 octobre 2023, dans lesquels nous nous contentions de rappeler le droit international — notamment le droit, pour un peuple vivant sous occupation, de se défendre, y compris par la résistance armée. Nous insistions sur la situation coloniale des GazaouiEs et du peuple ­palestinien.

Suite à cette plainte, notre directeur de publication a été auditionné deux fois au commissariat, en juin 2024. Depuis, rien ne s’était passé et nous espérions que le dossier serait classé sans suite. Mais il y a un mois, les policiers se sont rendus chez lui, à Dinard. Comme ils n’avaient pas de mandat de perquisition, il leur a demandé de partir. Ils sont revenus le jeudi 11 septembre, alors qu’il était en route pour la Fête de l’Humanité. C’est sa compagne qui leur a ouvert, parce qu’ils étaient prêts à casser la porte. La police s’est emparée de quelques dossiers personnels et de livres de sa bibliothèque.

Cette procédure nous surprend, parce que nous sommes une association juive, antisioniste bien sûr, qui soutient le travail et les projets de paysans de Gaza depuis 2016, pour qu’ils puissent développer une autonomie alimentaire dans la bande de Gaza, sous blocus depuis 2007.

On a un peu l’impression d’un acharnement contre l’UJFP, parce qu’en plus de cette procédure judiciaire, on a appris que votre compte bancaire a été fermé.

L’UJFP n’est pas un cas isolé, on ne se considère pas comme une exception, ce qui nous touche ici fait partie de la répression globale des mouvements de soutien à la Palestine et de lutte contre le racisme. Voyez ce qui se passe avec le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) et la très importante quantité de poursuites pour « apologie du terrorisme » — on ne sait même pas exactement combien car beaucoup n’en parlent pas.

Mais oui, notre compte a été fermé. En novembre 2024, on a reçu un recommandé qui annonçait brutalement, sans que rien ne puisse le laisser présager, sans aucun échange préalable, que le Crédit Coopératif avait décidé de fermer notre compte bancaire. À ce jour, nous ne savons toujours pas pour quel motif cette décision a été prise. Les banques n’ont pas l’obligation de motiver la fermeture d’un compte. Nous avons écrit plusieurs fois pour demander quels étaient les motifs réels, mais nous n’avons reçu aucune réponse. De nombreuxES militantEs et clientEs du Crédit Coopératif ont posé la question. Les réponses ont été diverses, mais aucune ne répond vraiment à la question. Nous n’avions rien changé à nos procédures de transfert d’argent pour Gaza depuis 2018, procédures que la banque connaissait parfaitement.

Est-ce que vos activités de solidarité sont empêchées par cette situation ?

Après de multiples négociations, on nous a accordé un délai de neuf mois et donc le compte a été définitivement clôturé fin juillet 2025. Nous nous étions organisés, nous avons ouvert un compte dans une autre banque, nous avons mis en place, avec notre correspondant sur place, un nouveau circuit pour continuer à aider les paysans de Gaza.
Notre aide est multiple, on assure toutes les semaines des repas, des ateliers d’éducation pour les enfants et des ateliers de soutien psychologique, le plus souvent pour les femmes. La semaine dernière ils n’ont pas pu se tenir à cause de la situation mais cette semaine ils ont réussi à les tenir de nouveau, ce qui n’est pas rien dans les conditions extrêmes dans lesquelles survivent aujourd’hui les GazaouiEs.

Depuis octobre 2023, nous avons reçu plus de 700 000 euros via la collecte de l’UJFP pour Gaza, accessible sur notre site. Nous recevons des rapports financiers précis de notre représentant à Gaza, nous pouvons justifier très précisément ce qui est fait avec l’argent que nous envoyons. Ce sont des sommes considérables, mais le travail effectué sur place par les équipes de l’UJFP à Gaza est immense lui aussi.

Depuis le début, la collecte de l’UJFP est mise au service de décisions et de projets gazaouis. Ce n’est pas nous, ce n’est pas la solidarité française, ce sont les GazaouiEs et notre représentant à Gaza qui définissent ce dont ils ont besoin. Nous limitons notre rôle à la collecte des fonds.

Peux-tu nous parler un peu du livre que l’UJFP a édité cette année ?

On a édité un livre paru en avril 2025 qui s’appelle Gaza, mort, vie, espoir où on a essayé de contextualiser la situation par rapport à ce qui s’est passé le 7 octobre. Nous travaillons avec les paysans de Gaza depuis longtemps. Dans ce livre, nous exposons les projets qui ont été réalisés : un château d’eau, l’irrigation de nombreuses parcelles agricoles, la mise en place de panneaux solaires (puisqu’il faut rappeler qu’il y a peu d’électricité par jour à Gaza, c’est Israël qui décide, qui coupe ou qui remet l’électricité), une pépinière solidaire, une maison des paysans — c’était une demande importante des paysans, qui sont indépendants de tout parti politique à Gaza et qui souhaitaient avoir un lieu pour discuter entre eux des projets qu’ils voulaient mettre en place. Tout cela a été détruit début 2024.

Dans ce livre, une partie est écrite par les militantEs solidaires : Pierre Stamboul, Sarah Katz et moi-même de l’UJFP, ainsi que Brigitte Chalande et Kamel Elias, Palestinien d’origine, qui vit en France et est agronome. Il y a aussi toute une section qui reprend les témoignages de notre correspondant à Gaza, Abou Amir. Ainsi un chapitre entier montre comment, après le 7 octobre, les GazaouiEs, notamment les paysans, se sont organisés pour survivre, après avoir perdu tout leur travail. Ils ne pouvaient plus cultiver leur terre, donc ils étaient sans ressources. Ils se sont d’abord retrouvés dans des écoles, mais les écoles ont été bombardées. Ils se sont retrouvés sur la plage, pas loin de Deir al-Balah. La solidarité française les a soutenus pour qu’ils puissent créer des infrastructures sanitaires, mettre en place des écoles pour les enfants, des cuisines pour servir de la nourriture aux paysans qui n’avaient plus rien, etc. Tous ces éléments sont illustrés dans les rapports que nous envoie Abou Amir quotidiennement. C’est très émouvant de voir comment une société civile s’organise dans des conditions extrêmes et continue à faire société — même si, en ce moment, cela devient de plus en plus compliqué ; toute l’année 2024, ils ont pu continuer à faire société.

Comme c’est expliqué dans le livre, dans chaque camp de déplacés, il y a des mokhtars, il y a une direction. Abou Amir discute avec ces directions pour voir comment il peut apporter l’aide que permet la solidarité française. C’est un ouvrage différent des autres livres sur Gaza, puisque ce sont des témoignages directs, qui viennent de Gaza même.

Et quelles sont les activités de l’UJFP dans la mobilisation contre le génocide en cours ?

On s’est dit qu’on allait essayer de faire des opérations spectaculaires pour faire bouger les lignes. On a d’abord fait un campement sauvage à la Bastille qui a duré un jour et demi avant d’être délogé brutalement. Et puis nous avons fait une deuxième opération : trois jours de lecture des 18 347 noms d’enfants assassinés à Gaza — c’était le nombre au 31 juillet 2025. C’était très émouvant.
Nous continuons bien entendu les actions et mobilisations communes avec les cadres collectifs dans lesquels nous sommes : au sein du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, avec la Plateforme des ONG pour la Palestine, avec la campagne BDS bien entendu — l’UJFP faisant partie des organisations fondatrices de BDS-France. Nous avons également de très bonnes relations avec Urgence Palestine ; de nombreux militants de l’UJFP sont dans les groupes locaux d’Urgence Palestine un peu partout.

Peux-tu nous dire quelques mots de ce qui passe du côté des voix juives antisionistes ?

Il y a un changement important en cours. On a pu le constater encore à la Fête de l’Huma : un certain nombre de jeunes juifs et juives sont venus à notre stand, commun à l’UJFP et à TSEDEK !, des jeunes parfois déboussoléEs par ce qui se passe, ne voulant pas être inclusEs dans ce que l’armée israélienne est en train de faire. Cette dynamique se manifeste aussi par le développement de réseaux internationaux. European Jews for Palestine réunit des groupes de 16 pays européens pour construire des actions et des expressions communes de juifs européens qui s’opposent au génocide. Au niveau mondial, Global Jews for Palestine, créé en 2018, connaît aujourd’hui un nouvel essor également.

Propos recueillis par la rédaction