Ceux et celles qui passèrent ces quelques jours à Gênes en revinrent avec bien sûr en tête la formidable répression qui s’abattit sur les manifestantEs. Mais également avec la vision d’une autre démocratie où tout est débattu publiquement, au cours d’assemblées générales quotidiennes, rassemblant des milliers d’activistes, sur les docks du port de Gênes, survolés en permanence par les hélicoptères de la police, dans une ville « morte », quadrillé par 20 000 robocops.
Le premier soir, le mercredi, l’ambiance était encore festive, avec un concert de Manu Chao. Des milliers de jeunes, organisés ou non, de différents réseaux (Attac, syndicats, organisations politiques de gauche, groupes « autonomes »…) convergeaient vers Gênes de toute l’Europe (dont près de 5 000 Français).
Une partie arriva juste à temps pour participer à la manif pour les migrants qui se déroula dans un climat confiant, malgré la présence policière impressionnante. Ensuite tout le monde se retrouva au centre de convergence pour faire le point sur la journée du lendemain dont l’objectif était d’envahir la zone rouge. Cette action avait donné lieu à d’intenses débats depuis plusieurs mois : comment être le plus efficace pour briser cette zone rouge ? Afin de maintenir le cadre unitaire du GSF, il fut décidé d’un encerclement par différents points de la zone rouge, avec pour chaque rassemblement des stratégies de lutte différentes. Cela permettait à tous (radicaux et moins radicaux) de se retrouver le lendemain. Mais ce fut également une faiblesse qui permit à la police d’attaquer violemment les radicaux isolés du reste des manifestants, et de tenter de diviser le mouvement. Le jeudi soir, chaque pôle préparait donc activement sa manifestation du lendemain. Le pôle radical était dominé par les Tute bianche italiens dont la stratégie était une confrontation physique massive, mais « non offensive », avec la police. Pour cela, près de 10 000 personnes préparaient leur équipement : combinaison blanche, casque, foulard pour les gaz et, plus impressionnant, de nombreux dispositifs défensifs en mousse, en carton, en pastique… Dans un autre stade, plusieurs milliers de jeunes de toute l’Europe s’étaient retrouvés avec les différents réseaux autour d’Attac, pour une manifestation pacifique dont l’objectif était d’atteindre et de tenter de pénétrer au moins symboliquement la zone rouge. D’autres groupes, comme les pink, proposaient un pôle festifs, déguisés en clowns, totalement non violent, face à la zone rouge. Ce cortège fut sauvagement attaqué par la police alors qu’ils étaient assis par terre.
Le vendredi matin, la manifestation commença en une dizaine de points différents, rassemblant au total près de 80 000 personnes, mais aucun cortège ne dépassait 15 000 à 20 000 personnes. La police attaqua très violemment les Tute bianche, par plusieurs rues latérales, avant qu’ils atteignent la zone rouge, faisant voler en éclat tous les dispositifs de défense du cortège. Des milliers de jeunes ripostèrent dans une véritable guérilla urbaine. C’est là que Carlo Giuliani fut assassiné. Des affrontements eurent lieu dans différents points, donnant lieu à plus de 600 hospitalisations. Le soir, après cette répression inédite depuis les années 1970, tout le monde se retrouva au centre de convergence pour décider de la suite, dans une ambiance d’apocalypse, sur une tribune au milieu des conteneurs du port survolée par les hélicoptères, au milieu des vapeurs des gaz lacrymogènes. Les débats furent vifs entre les plus modérés qui pensaient qu’il fallait cesser les manifestations (PDS italien, mais également Bernard Cassen et Susan George d’Attac), et ceux qui appelaient à une riposte unitaire encore plus massive et dénonçaient le G8 et la répression de Berlusconi (Rifundazione communista, dirigeants de la Fiom, Tute bianche, gauche radicale européenne). Bertinotti, dirigeant de RC, fit une brillante intervention, retransmise en direct à la télé, appelant la classe ouvrière italienne à se mobiliser, à se solidariser de la jeunesse.
Il fut donc décidé d’appeler dès le lendemain matin à une nouvelle manifestation. La CGIL (principal syndicat italien) mit toutes ses forces dans la bataille. Dans la nuit, des trains, des bus furent affrétés de toute l’Italie. Sur internet, la nouvelle circulait et plus d’un millier de personnes prirent leur voiture pour venir de France.
Le samedi matin, la riposte fut exemplaire avec 300 000 manifestants. La classe ouvrière italienne se mobilisa contre Berlusconi, rejetant la diabolisation du mouvement altermondialiste. Les cortèges syndicaux venus de toute l’Italie se mélangeaient avec des cortèges jeunes. Tous ceux qui ont participé à cette manifestation ont ressenti une énergie fantastique, nécessaire pour poursuivre face à la répression. Malgré la police qui tenta à nouveau de briser le mouvement en attaquant la manifestation en plusieurs points, la manifestation se poursuivit jusqu’au bout.
Antoine Boulangé