Publié le Mercredi 13 novembre 2013 à 15h04.

La crise, l’islamisme politique et la condition des femmes

On le sait peu, mais ce sont Sadate puis Moubarak qui, en rupture avec l’héritage de Nasser, ont introduit en même temps que la libéralisation économique la charia et l’islamisation de la société. La révolution est aussi la conséquence et la cause d’un mouvement profond d’émancipation des femmes égyptiennes.

Lorsque le libéralisme sauvage privatisait et détruisait les protections sociales d’État, en même temps que le ciment nationaliste nassérien se désagrégeait, Sadate puis Moubarak ont cherché à mettre en place un système de charité privée, à donner au pays un nouveau liant idéologique et, avec lui, la possibilité d’introduire dans le psychisme de chacun leurs propres règles policières.

 

Dictature et islamisation

La tradition musulmane égyptienne étant tolérante, les dictateurs trouvèrent dans le rigorisme des Frères musulmans et leur police des mœurs librement consentie le modèle qui, avec le contrôle des femmes, transforme chaque homme en un policier intime et familial. Sadate et Moubarak partagèrent le pouvoir avec les Frères en leur concédant une partie de l’éducation, de la santé et de la protection sociale, ainsi que la direction des associations professionnelles de médecins, enseignants, etc., …tout en combattant leurs ambitions politiques.

Dans la deuxième moitié des années 1970, la dictature militaire offrit aux familles des aides financières pour chaque fille qu’elles voileraient. En 1980, elle fit de la charia le deuxième article de la Constitution. Depuis 1985, il faut l’approbation des religieux à chaque réforme du droit de la famille. En 2006, l’indication de la religion sur les cartes d’identité, musulman, chrétien ou juif, fut rendue obligatoire. On ne peut donc pas être athée ou bouddhiste. On ne peut pas renoncer à la religion musulmane sous peine de « trouble à l’ordre public ».

Les affaires de la famille dépendent exclusivement de la charia et des codes des différentes communautés religieuses. Des tribunaux spéciaux veillent à leur application. Un époux peut interdire à sa femme de quitter l’Egypte par une déclaration élémentaire. Il peut répudier sa femme simplement en le lui disant. La polygamie est autorisée. Seuls les enfants musulmans peuvent hériter en cas de familles comportant enfants chrétiens et musulmans. En justice, la parole d’un musulman vaut celle de deux chrétiens.

 

Travail, exploitation et émancipation

En même temps que les associations professionnelles corporatistes islamistes et les mosquées devenaient les seuls lieux où l’on pouvait parler politique (avec les stades de football), cette islamisation forcée se heurtait aux forces contradictoires de l’urbanisation, de l’immigration et de la révolution matrimoniale. Ce qui explique le double mouvement, d’abord de vote en faveur des Frères musulmans puis de leur rejet jusqu’au plus arriéré des villages.

Avec l’exode rural et l’immigration, les femmes travaillent, les ouvrières sont plus nombreuses. A l’entrée des villages, les ouvrières agricoles se regroupent en attendant l’arrivée du camion collectif qui les conduit jusqu’aux exploitations. Un minibus d’une capacité de 12 personnes transporte 25 ouvrières. Celles-ci sont jeunes, 19 ans en moyenne, commençant souvent à travailler à 10 ans, pour la plupart célibataires. La journée est de 10 heures, pour un travail pénible et dangereux. L’entrepreneur contrôle la fille depuis sa sortie du village jusqu’à son retour au foyer. En cas de faute jugée grave (parler au moment du travail, se plaindre d’une fatigue...), il peut la priver de sa pause pour manger, voire pire.

Mais les femmes exercent peu à peu des tâches réservées aux hommes. Le salaire féminin augmente, l’écart entre salaires masculins et féminins diminue. La situation des femmes s’améliore au sein du ménage. Le travail permet de diminuer ses charges domestiques, de préparer son trousseau de mariage, de choisir son mari, de se lier à d’autres et de franchir le cadre villageois. L’épargne permet aux filles de continuer leurs études, réduire leur analphabétisme et l’oppression sexuelle. 96 % des femmes à la campagne étaient excisées et les islamistes proposaient aux dernières élections des excisions collectives gratuites. Le salaire donne plus d’autonomie et d’estime de soi, d’initiative et de contrôle de sa propre vie, il permet de contourner les structures traditionnelles, de participer à des actions politiques et collectives. 

Depuis le début de la révolution, les femmes sont très présentes. Des syndicats d’ouvrières agricoles et de femmes domestiques sont apparus. Le 30 juin, qui a étendu la révolution à la campagne, la moitié des manifestants étaient des femmes avec également une forte participation d’enfants travailleurs.

La politique économique du gouvernement de Morsi a été à l’origine de son rejet populaire. Mais c’est la violence des Frères musulmans sur la société qui a provoqué l’indifférence populaire face à leur massacre par l’armée. C’était clair le 30 juin où beaucoup de femmes en niqab manifestaient contre le pouvoir des Frères musulmans. 

 

On ne mesure pas encore l’impact sur la région de leur chute, eux qui à partir de l’Egypte avaient inventé l’islam politique et essaimé partout. Ni peut-être l’incidence de la progression de l’athéisme, exponentielle selon différentes sources.

J.C.