Depuis le 7 octobre, les militantEs solidaires du peuple palestinien font l’objet d’une répression, qui s’est encore renforcée depuis la rentrée, comme en témoigne le procès surréaliste, intenté à Élias d’Imzalène pour avoir appelé à « mener l’intifada à Paris ».
Cette volonté de criminaliser la solidarité avec la résistance palestinienne atteint fortement les milieux universitaires, comme en témoignent les pressions que l’historien Yannis Arab rencontre depuis le 7 octobre.
Yannis Arab, militant et chercheur sur la Palestine
Originaire de Moirans-en-Isère, Yannis Arab a commencé très jeune à travailler sur la Palestine. Après avoir publié en 2015, alors qu’il avait à peine 22 ans, un ouvrage consacré à la vie d’un jeune Gazaoui (Un pas vers la paix), il a rédigé en 2017 un livre sur l’histoire de la lutte palestinienne (Palestine. Pour une paix juste). Soucieux de donner à ses travaux une dimension académique, il a effectué des études d’histoire à l’Université Grenoble Alpes, qu’il a poursuivies à l’Université de Montréal, où il est actuellement inscrit en doctorat pour une thèse sur l’immigration algérienne en Palestine aux 19e et 20e siècles.
Ses recherches lui ont permis de montrer que plusieurs villages palestiniens tirent leurs origines de l’installation de milliers d’AlgérienNEs qui, dans le contexte de la conquête française, avaient dû fuir leur pays pour se réfugier en Palestine. Elles l’ont aussi amené à trouver dans les archives françaises de nouveaux documents sur l’histoire de la Palestine, en mettant au jour les témoignages de ressortissantEs algérienNEs, dans les années 1920 et 1930, se plaignant des violences qu’ils avaient subies de la part des colons juifs ou des autorités britanniques. Plus généralement, ses travaux doctoraux lui ont permis de collecter de nombreuses données d’archives en France, en Algérie et en Angleterre, mais aussi de mener des interviews de terrain dans les camps de réfugiéEs palestinienNEs
La répression post-7 octobre
Depuis le 7 octobre 2023, le travail de Yannis Arab est toutefois devenu beaucoup plus difficile, puisqu’il a commencé à subir des pressions administratives, qui se sont par exemple manifestées par l’interdiction préfectorale, à la demande du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), d’une conférence qu’il devait donner à Grenoble le 22 décembre dernier. L’anniversaire du 7 octobre a toutefois conduit la préfecture de l’Isère à franchir une nouvelle étape, en ordonnant à la gendarmerie de l’interpeler à son domicile et de perquisitionner son logement. À l’aube du 8 octobre, après avoir enfoncé la porte de son appartement, la gendarmerie a arrêté Yannis Arab et l’a placé en garde à vue.
L’opération de police a été particulièrement violente. Sans même prendre la peine de sonner, la gendarmerie a défoncé la porte du logement familial, et Yannis Arab a été plaqué au sol et arrêté très brutalement. La famille de Yannis Arab a aussi été victime de brutalités, en particulier son petit frère de 16 ans qui a été jeté à terre et menotté. Amené à la gendarmerie de Moirans, Yannis Arab a été libéré au bout de quelques heures de garde-à-vue, les enquêteurs n’ayant en réalité rien d’autre à lui reprocher qu’une « apologie de terrorisme », qui ne se fonde en réalité que sur son soutien aux droits nationaux du peuple palestinien.
Il est remarquable que tout son interrogatoire a été polarisé autour d’une question : Yannis Arab condamne-t-il ou non les massacres du 7 octobre ? L’enquête policière ne visait ainsi pas à interroger Yannis Arab sur les actes qu’il aurait pu commettre, mais sur ses seules opinions. Cette procédure constitue une conséquence concrète des tentatives du pouvoir français de criminaliser toute forme de solidarité avec la résistance palestinienne, en utilisant le très dangereux délit « d’apologie du terrorisme » que Cazeneuve, Valls et Hollande ont sorti du droit de la presse pour l’introduire dans le code pénal1, et dont le champ ne cesse aujourd’hui de s’élargir.
Confiscation des données de Yannis Arab
La brutalité des méthodes policières utilisées pour l’interpellation de Yannis Arab n’était d’aucune utilité, puisqu’il ne s’agit pas d’un terroriste en fuite, mais d’un chercheur qui n’a jamais manifesté l’intention de se soustraire à la police. Elle n’a de fait été utilisée que comme moyen de pression, afin d’intimider Yannis Arab, en s’en prenant en particulier à sa famille. Dans ce contexte, il est particulièrement scandaleux que la gendarmerie refuse toute prise en charge de la réparation de la porte (plus de 2 000 euros !), d’autant qu’elle a été défoncée sans aucune justification, puisque la gendarmerie aurait pu se la faire ouvrir en appuyant sur la sonnette.
Par ailleurs, la gendarmerie a saisi tout le matériel informatique de Yannis Arab, qui n’a donc plus accès à ses ordinateurs et à son téléphone. Prétextant des problèmes d’effectif, la gendarmerie a ainsi annoncé à Yannis Arab qu’elle avait besoin de temps pour réaliser une copie complète de ses fichiers et qu’elle n’était pas en mesure de lui donner une date à laquelle il pourrait espérer retrouver ses outils de travail. Cela constitue une nouvelle forme de sanctions administratives dans un cadre extra-judiciaire. Au-delà du fait que s’emparer des outils et des données d’un chercheur constitue une violation manifeste des libertés académiques, il est aussi très inquiétant que des données de terrain, recueillies dans les camps palestiniens, puissent être saisies par les services français, sans aucune garantie sur leur possible utilisation au détriment des personnes qui ont accepté ces entretiens.
Solidarité avec Yannis Arab !
Depuis le 8 octobre, une solidarité militante s’est organisée pour soutenir Yannis Arab et faire connaître sa situation. Si la presse française ne s’est jusqu’à présent pas saisie de l’affaire, à l’exception du Dauphiné libéré qui a publié un article calomnieux pour Yannis Arab, l’affaire a commencé à être couverte par la presse internationale. Une pétition a été rédigée sur change.org pour exiger que la gendarmerie restitue au plus vite son matériel informatique et ses données à Yannis Arab.
À l’heure où le nouveau ministre ultra-réactionnaire de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Patrick Hetzel, entend organiser une répression féroce du mouvement de solidarité avec la Palestine dans l’Université, et où Caroline Yadan et François Hollande viennent d’annoncer le dépôt d’une loi pour faire de l’antisionisme un délit susceptible de condamnation au pénal2, il est essentiel de soutenir Yannis Arab pour affirmer que, hier comme aujourd’hui, la solidarité avec un peuple en lutte pour ses droits nationaux ne constitue pas un crime !
Laurent Ripart
Signer la pétition pour soutenir Yannis Arab :
- 1. Loi du 13 novembre 2014.
- 2. https://www.lepoint.fr/p…