Publié le Mardi 8 juillet 2014 à 10h21.

L’Irak, une souffrance continue aux causes multiples…

La prise de Mossoul, deuxième plus grande ville irakienne, a provoqué la fuite de plus de 500.000 personnes. D’autres villes sont occupées par une coalition hétéroclite de groupes réactionnaires autour de l’État d’Islamique d’Irak et du Levant (EIIL ou Daech), d’ex baathiste et de chef de tribus. C’est la continuation de la longue agonie du peuple irakien.

 

Ce pays vivait sous la dictature sanglante du clan de Saddam Hussein qui avait causé la mort, l’exil et l’emprisonnement de plusieurs dizaines de milliers de personnes, sans oublier le gazage des kurdes en 1988 à Halabja. Ce régime, qui n’avait rien de nationaliste comme certains l’ont caractérisé, s’était construit sur un appareil répressif totalitaire qui n’acceptait aucune opposition politique et ou indépendance syndicale, sur des bases clientélistes, tribales et communautaires. 

Néanmoins, la raison principale l’actuelle situation actuelle catastrophique dans le pays résulte de l’invasion militaire étatsunienne et britannique de 2003. Contrairement à ce qu’avancent certains médias et « analystes », les événements actuels en Irak ne sont pas le fruit d’une haine ancestrale entre Sunnites et Chiites.

En plus de l’invasion militaire qui a provoqué la mort d’un million d’Irakiens et le déplacement forcé de 4 millions d’autres et cela après plus de 10 ans de sanctions inhumaines, la politique d’occupation des États Unis est à l’origine de la débâcle actuelle : répression féroce de toute opposition politique à l’occupation, mis en place forcé de politique néolibérales et répression de mouvement syndicalistes indépendants, destruction des institutions étatiques (armée, administration, système universitaire, etc.), mise en place d’un système politique basé sur le confessionnalisme politique. Ce dernier élément provoquera une guerre confessionnelle terrible opposant groupes extrémistes chiites et sunnites entre 2005 et 2008, provoquant une moyenne mensuelle de 3.000 morts.

En même temps, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont soutenu des groupes confessionnels extrémistes et réactionnaires pour favoriser leurs propres intérêts, comme ailleurs dans la région, particulièrement au Liban et en Syrie.

La montée spectaculaire de l’EIIL et de ses alliés ces derniers mois sont néanmoins le résultat des politiques autoritaires et communautaires du gouvernement de Nouri al-Maliki.

Des manifestations populaires ont secoué le pays. Le 25 février 2011 — « le Jour de la colère » — a lancé un cycle hebdomadaire de protestation les vendredi dans la plupart des grandes villes du pays. Les demandes étaient diverses, allant de la lutte contre le chômage, le manque ou l’absence de services, la libération des prisonniers politiques, à l’opposition à l’ensemble du régime communautaire installé par l’occupation états-unienne. Le mouvement était composé de personnalités de la société civile, groupes féministes, syndicalistes, etc.

Ces rassemblements populaires ont parfois dépassé les dizaines de milliers. Dans la ville de Mossoul des manifestant-e-s avaient appelé à une grève générale, poussant le gouverneur local Atheel al-Nujaifi à soutenir les manifestations et tolérer la violation du couvre-feu imposé par le gouvernement. Les places de protestation étaient devenues des sites de poésie politisée et de spectacles culturels, s’appuyant sur le riche patrimoine culturel de l’Irak.

Le gouvernement Maliki n’a pas tardé à réagir avec une répression systématique et brutale, tout en aggravant une politique contre la population sunnite. Il a refusé d’intégrer les Conseils de « l’éveil sunnite » dans l’armée, discriminé de manière systématique les sunnites au sein de l’administration et maintenu la loi d’exception mise en place après l’invasion américaine, utilisé surtout pour réprimer toutes les forces politiques sunnites. Il accusa des politiciens de confessions sunnites de soutien au terrorisme – une recette des régimes répressifs de la région pour réprimer l’opposition, comme on peut le voir actuellement en Égypte en Syrie.

Mais cours de l’année 2013, à nouveau, un mouvement populaire dans les régions à majorité sunnite mena une campagne de masse de résistance non-violente. Des manifestations populaires de masse et des sit-ins revendiquaient la libération des prisonniers politiques, en particulier les milliers de femmes détenues, des emplois et de meilleurs services publics, la suppression de la constitution irakienne. Les manifestant-e-s visaient s’opposaient surtout aux « lois anti terroristes » utilisés par le gouvernement irakien pour réprimer les opposant-e-s en les accusant de liens avec Al-Qaïda ou le parti Baas de Saddam.

Même des dirigeants irakiens chiites du bloc du Conseil Suprême Islamique d’Irak et du bloc de Moqtada al-Sadr, qui avaient leurs propres griefs contre le régime, ont alors exprimé leur solidarité avec ces manifestations, composées pour l’essentiel d’Irakiens de confession sunnite, et ont menacé d’organiser leurs propres manifestations. Malheureusement aucune solidarité trans-confessionnelle ni inter ethnique ne s’est matérialisé, malgré les critiques et l’opposition à Maliki des groupes kurdes.

Cette vague de protestations populaires a aussi été férocement réprimée : quartiers détruits, arrestations massives, torture.

L’intensification de la répression du gouvernement a poussé une partie des manifestant-e-s et certains groupes à se rallier à l’EIIL, qui s’oppose au régime irakien pour des raisons sectaires. Ce dernier a gagné une importance croissante dans les régions à majorité sunnite. L’armée irakienne, reconstruite sur des bases communautaires et minée par la corruption, fut perçue par les populations dans les régions à majorité sunnite de plus en plus comme une armée d’occupation.

C’est pour cette raison que certains ont vu dans le départ de l’armée une libération… mais sans considérer les nouveaux arrivants comme des libérateurs. Les pratiques de l’EIIL (imposition de lois religieuses réactionnaires sur la population touchant particulièrement les femmes, assassinats communautaires, autoritarisme, destructions d’objets archéologiques, etc.) provoqueront très probablement la résistance des populations locales, comme cela a été le cas en Syrie.

De son côté, Maliki a utilisé la menace communautaire de l’EIIL pour pousser M. Sadr d’organiser des manifestations d’appuis à l’État irakien et pour demander le soutien du grand Ayatollah Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite d’Irak. Il a également fait mobiliser des milices sectaires chiites.

Les forces réactionnaires jihadistes de l’EIIL, allié aux ex-baassistes, tout comme le gouvernement Maliki, ses politiques communautaires et autoritaires et les forces réactionnaires qui le soutiennent, doivent être combattus. Ces deux acteurs se nourrissent et sont donc à abattre pour espérer construire un mouvement populaire social et progressiste s’opposant au communautarisme pour permettre à l’Irak de sortir d’un cauchemar qui n’a que trop duré. ■

* Nous avons repris cet article du blog Syria Freedom Forever, animé par la gauche révolutionnaire syrienne : http://syriafreedomforev…