Entretien avec Aris Vassilopoulos, maire de Nea Philadelphia-Chalkidona.
La municipalité de Nea Philadelphia-Chalkidona, dans la banlieue nord d’Athènes, est la seule en Grèce à avoir à sa tête un militant issu du « Réseau rouge », l’aile anticapitaliste de Syriza animée par l’organisation DEA (Gauche ouvrière internationaliste). Dès son installation, Aris Vassilopoulos s’est trouvé confronté à l’épineux problème posé par la construction du nouveau stade de football de l’AEK Athènes. L’entretien reproduit ci-dessous est sorti originellement dans le journal de DEA, « Gauche Ouvrière », n° 327 du 7 janvier 2015. Il a été traduit du grec par Emil Ansker.
Le stade de l’AEK et le bois de Nea Philadelphia ont occupé les médias autant que la population. Que se passe-t-il exactement ? Pourquoi as-tu parlé de « jour historique » lors du dernier conseil municipal où des incidents ont eu lieu, et pourquoi vous êtes-vous pourvus devant le Conseil d’Etat ?
La situation est la suivante : du fait de l’ancienne équipe municipale, mais surtout du gouvernement Samaras-Venizelos, une loi est passée l’été dernier, qui a des retombées très néfastes sur notre ville. ElIe a pour cerise sur le gâteau le déclassement de 0,6 hectare de surface boisée ou à reboiser, pour la construction du nouveau stade de l’AEK.
Toutes ces dernières années, notre position a été claire et elle le reste. Nous revendiquons la protection complète et la mise en valeur du bois de Nea Philadelphia, et nous souhaitons la construction d’un nouveau stade de l’AEK dans notre ville. Mais cela peut et doit être fait dans le plus grand respect des règles environnementales et d’urbanisme, ainsi que de la Constitution. Nous sommes convaincus que la propagande sur le nécessaire déclassement de 0,6 hectare dans le but de construire un stade de catégorie « UEFA Elite » est indéfendable, car un stade digne de l’histoire de l’AEK peut se faire et se fera sans affecter le bois.
Tout ce qui concerne notre prétendu refus de construction du stade de l’AEK, ou notre hostilité à l’AEK en général, relève de jeux pré-électoraux visant à manipuler les supporters de l’AEK pour qu’ils soutiennent les forces qui ont pillé leurs vies. Ma déclaration sur le jour historique renvoie au fait que nous avons renoué le fil de toutes les anciennes autorités municipales combatives, qui n’ont jamais reculé devant les intérêts économiques qui tentaient d’empiéter sur le bois. C’est une chose dont nous sommes fiers et pour laquelle la plupart des habitants de Philadelphia et de Chalkidona nous soutiennent.
Ainsi, le vendredi 2 janvier nous nous sommes pourvus en tant que municipalité devant le Conseil d’Etat contre le nouveau Plan directeur d’aménagement d’Athènes – Attique, qui déclassifie la zone boisée de Philadelphia et la livre au projet de construction du nouveau stade de l’AEK.
Le conseil municipal a exprimé son opposition à la décision de la Direction des forêts de l’Administration décentralisée d’Attique1, laquelle rejette l’étude municipale de réaménagement du bois, en invoquant le nouveau plan directeur. A travers son pourvoi au Conseil d’Etat, notre municipalité s’oppose à l’Administration décentralisée d’Attique et au ministère de l’environnement, et demande que la décision en question soit annulée.
Et comme l’a dit notre maire-adjoint, Vaggelis Koumarianos, à l’Efimerida ton Syntakton2, « nous affirmons que le plan directeur s’oppose à l’article 24 de la Constitution relatif à la protection des forêts, à la législation sur les zones forestières et plus généralement à la législation en matière d’urbanisme. C’est notre devoir politique que de défendre les biens publics et les espaces verts, en prolongeant la tradition de plus anciennes autorités municipales. Nous revendiquons le droit de la municipalité à gérer le bois dans sa totalité et à préserver son caractère forestier. Le stade de l’AEK peut et doit se faire dans la plus complète protection du bois, dans les limites des 2,66 hectares prévus par l’ancien acte de cession… »
Tu es, vous êtes (tou-te-s celles et ceux qui ont soutenu ta candidature) la municipalité « Syriza » qui a subi le plus d’attaques – et de différents côtés. Les gens de gauche vous soutiennent ?
La vérité c’est qu’en tant qu’autorité municipale nous avons subi une offensive rageuse de la part de l’ancien système de pouvoir et d’entrecroisement des intérêts qui a dominé pendant des années dans la municipalité, en y vivant sur le dos des administrés, ainsi que de la part de plus grands intérêts économiques ayant des projets dans le secteur. Le dernier épisode de cette offensive est une série de déclarations diffamatoires qui, tout en occultant que nous avions baissé la taxe d’habitation sur le logement et en avions exempté chômeurs de longue durée, personnes handicapées, familles de trois enfants et plus, ainsi que personnes sans ressources, nous accusaient de matraquage fiscal. Cela parce que nous avons réparé une injustice de plusieurs décennies qui nuisait à l‘espace public, en augmentant (de façon facultative) la taxe d’occupation de la voie publique par les terrasses3.
En dehors de cela, en lien avec le stade de l’AEK, nous sommes confrontés à des attaques régulières, qui dans leur écrasante majorité consistent en déclarations mensongères et calomnieuses dans le but de nous nuire et de nous faire consentir à des solutions contraires à l’intérêt de la majorité sociale. Pendant toute cette période les gens de gauche, par instinct de solidarité, se sont tenus de notre côté, tandis que Syriza nous a soutenus quand il le fallait.
Que signifie une collectivité de gauche pour toi ? Que peut-elle faire aujourd’hui ?
Etre de gauche dans le cadre d’une collectivité locale veut d’abord et surtout dire protection des personnes socialement vulnérables, des travailleurs, et de la qualité de vie des citoyens. Les mairies ne sont pas des entités incolores et inodores, comme le voudraient les vingt dernières années de domination néolibérale, mais des terrains d’affrontement, où l’on est souvent appelé à défendre des principes et des valeurs face aux intérêts qui se taillent la part du lion dans ce que l’on appelle la sphère publique. Etre de gauche veut dire mettre l’accent sur les processus démocratiques et sur l’auto-organisation de la société, et défendre l’autonomie constitutionnelle des collectivités, qui ces dernières années ressemblent plus à une co-administration.
Depuis ces quelques mois où nous avons pris en charge la gestion de la municipalité, nous sommes parvenus à réintégrer les surveillants des écoles via une lutte judiciaire, nous avons attribué des crédits pour que les enfants des écoles bénéficient d’un en-cas à dix heures, nous avons plus que doublé le budget pour assurer la distribution de repas, avons mis fin aux relations troubles entre certains notables et la mairie, et mis en place un système fiscal municipal aussi redistributif que possible, comme je l’ai dit précédemment au sujet de nos concitoyens qui se trouvent dans les situations les plus difficiles (chômeurs de longue durée, personnes handicapées, etc.).
De plus, nous avons fourni des locaux et des ressources pour la création d’une pharmacie sociale, d’une épicerie sociale à Chalkidona et nous en créons une autre à Nea Philadelphia. Nous veillons à ce que des locaux soient ouverts pour héberger nos concitoyens sans-abri.
Parmi nos priorités immédiates figure la création d’un conseil des immigrés favorisant l’intégration culturelle et éducative de ceux-ci, auquel ils seront invités à participer.
Parallèlement, nous avons rencontré une grande réussite dans la réalisation des assemblées de quartier dans différents endroits de la ville. La participation de la population à nos assemblées a été importante. Les points les plus discutés et réclamés sont les aménagements anti-inondations dont la ville a besoin, les écoles (dont nous avons aussi besoin, beaucoup étant dans une situation désastreuse), les embauches dans les services de propreté. Mais aussi les espaces verts, la libération de la voie publique, etc.
Nous avons pour objectif de continuer ces assemblées de quartier, de façon à ce que les citoyens, les travailleurs, les chômeurs, les jeunes, posent eux-mêmes leurs problèmes et besoins et se mobilisent pour leur satisfaction.
Propos recueillis par Katerina Pardali
- 1. Service déconcentré de l’Etat qui, depuis la réforme « Kallikratis » de 2010, applique à l’échelle d’une ou plusieurs régions (trois maximum) une partie des politiques publiques sous l’égide d’un secrétaire général nommé par le gouvernement.
- 2. Le quotidien « Journal des Rédacteurs », créé pendant la crise par des journalistes licenciés.
- 3. L’accaparement par les cafés et restaurants de la voie publique, notamment des trottoirs, sans autorisation est un problème qui se pose dans toutes les villes grecques. D’autres municipalités, comme celle du Pirée, ont ces derniers mois posé la question de la destruction de terrasses couvertes sauvages.