La répression d’Etat qui a subitement été engagée contre le mouvement néonazi grec en a surpris plus d’un an. Cet article écrit depuis Athènes, publié initialement le 4 octobre sur le site du NPA (et qui est ici légèrement abrégé), cherche à en analyser les raisons.
On peut penser que la vaste opération de police du samedi 28 septembre au matin, qu’on n’attendait pas aussi importante, est due à plusieurs éléments.
Contradiction dans les classes dirigeantes
D’abord la force de la réaction populaire après la mort du rappeur antifasciste Fyssas, dont le souvenir est déjà une légende vivante dans une grande partie de la jeunesse. Certes, le rassemblement du 25 septembre a été victime de manœuvres qu’on peut en cette circonstance qualifier de sabotage : appel du KKE (PC grec) à un rassemblement ailleurs ; condamnation préalable par la direction de Syriza de toute manif à l’occasion du rassemblement... Malgré tout, entre 15 et 20 000 personnes se sont rassemblées et la majorité est partie en manifestation vers le siège des nazis. On a manifesté ce jour-là dans toute la Grèce.
Même si bien des responsables politiques ou économiques européens suivaient avec intérêt l’utilisation de cette bande armée pour tenter de mettre au pas les mobilisations anti-troïka et donc anticapitalistes, une partie de la bourgeoisie européenne jugeait mal venue voire dangereuse la croissance d’un groupe para-étatique qui pourrait faire regretter plus tard aux partis bourgeois traditionnels d’avoir une nouvelle fois joué les apprentis sorciers. Le fait que la Grèce doit prendre la prochaine présidence européenne a apparemment amené des pressions sur le gouvernement Samaras en ce sens.
Les mêmes contradictions existent chez les patrons grecs. S’il est établi que les « hordes d’horreur » sont financées par des industriels et armateurs, et depuis longtemps pour certains, la déclaration du dirigeant du patronat grec après le meurtre de Fyssas a sonné comme un ordre au gouvernement : mettre sur le même plan Chryssi Avgi et Syriza est non seulement inacceptable, mais c’est anti-démocratique. En dehors du fait qu’il y a eu voilà plusieurs mois une rencontre entre lui et Alexis Tsipras, dirigeant de Syriza, il semble bien que la direction du patronat grec refuse à cette étape le développement d’une véritable mafia agissant pour elle-même et pour une partie seulement du grand patronat.
Les raisons des arrestations
Les accusations sur lesquelles la justice a ordonné les arrestations sont bien plus sérieuses qu’un simple coup de pub du gouvernement grec pour rassurer ses compères européens. Depuis trois jours, la Grèce découvre que cette bande de tueurs est une véritable mafia (protection rétribuée de magasins, trafic d’armes, surexploitation d’immigrés dans différentes formes de commerce…), et une véritable petite entreprise terroriste : les services anti-terroristes cherchent en ce moment les caches d’armes que cette pègre avait commencé à organiser dans le pays.
Et se dessine ainsi une autre raison possible de l’ampleur de l’opération contre les nazis : les corps de répression commençaient à être tellement gangrenés, avec entraînement discret dans des camps militaires, que leur contrôle par l’appareil d’Etat risquait à terme de lui échapper ! Sans pour autant surestimer la force réelle de cette bande d’assassins – et bien sûr le fait que les grand médias passent soudain d’une véritable publicité à Aube dorée à une position quasiment antinazie qui les fait dramatiser à outrance – il est évident qu’une dynamique était en marche, avec des complicités dans la police permettant à tous les partisans de la violence anti-ouvrière et anti-immigrée de se croire tout permis.
Et maintenant ?
La question qu’on peut se poser, trois jours après l’arrestation des dirigeants de Chryssi Avgi, c’est de savoir si le gouvernement et la justice sont déterminés à aller jusqu’au bout, et si les tueurs arrêtés écoperont de vraies peines de prison. Sachant qui est Samaras, avec son passé de droite extrême, on peut avoir des doutes. L’autre question est de savoir si Chryssi Avgi a reçu un coup mortel dans son organisation. Ces deux derniers jours, il est réjouissant de voir que seuls 150 à 200 abrutis avaient répondu à l’appel de la direction nazie à se mobiliser partout. La probabilité que ce groupe soit caractérisé comme groupe criminel ouvre la porte à une interdiction possible, mais ses députés gardent pour l’instant leur mandat et veulent provoquer une crise politique... en prétextant leur soi-disant lutte contre la troïka.
Au-delà de toutes les révélations, il ne faut pas oublier l’assassinat de Pavlos Fyssas, l’assassinat ou les tentatives perpétrées contre de nombreux immigrés, des militants de gauche, avec au moins 300 agressions à juger ! On parle ici d’un groupe criminel, et tous les procès jusqu’ici étouffés doivent enfin être engagés.
Quelques réactions de milieux populaires contaminés par la propagande raciste des nazis et du gouvernement le montrent : la bataille du mouvement ouvrier contre la politique de la troïka est indispensable pour organiser l’intervention autonome du mouvement, sous risque d’inféodation aux nazis. La construction d’un immense mouvement antifasciste d’ampleur est plus que jamais à l’ordre du jour, les racines du mal sont évidemment la destruction implacable par la bourgeoisie grecque et internationale de tout droit à des conditions de vie dignes de ce nom.
Andreas Sartzekis