Publié le Mercredi 10 mai 2017 à 11h59.

Trump, criminel climatique

Ennemi des femmes, des musulmans, des immigrés sans papiers, des Noirs et des Latinos, Trump est aussi le pourfendeur de toute mesure et de toute lutte écologique…

Le dérèglement climatique est selon Donald Trump « un concept créé par et pour les Chinois pour tuer la compétitivité de l’industrie américaine ». Passons sur l’incongruité de cette affirmation quand l’économie chinoise est encore plus dépendante des énergies fossiles que celle des Etats-Unis. Ses déclarations sont consternantes, pourtant rien ne serait  plus faux et dangereux que de ne pas le prendre au sérieux quand il affirme vouloir en finir avec l’accord de Paris dénoncé comme  un moyen d’« autoriser des bureaucrates étrangers à contrôler la quantité d’énergie que nous utilisons ».

Les défenseurs acharnés du résultat de la COP21, tout à leur récit sur l’« accord historique », tentent de se (nous) rassurer en affirmant que la dénonciation de l’accord ne pourrait être effective avant quatre ans, minimisant ainsi le pouvoir de nuisance du nouveau président. En réalité, les Etats-Unis peuvent se retirer purement et simplement de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée au sommet de la Terre de Rio en 1992,  s’affranchissant du même coup de l’accord de Paris qui n’en est qu’un texte subsidiaire.

Il faut garder à l’esprit le contenu de l’accord conclu en décembre 2015 à Paris : d’une part, un objectif affiché de limiter l’augmentation de la température moyenne en dessous de 2°C et même en dessous de 1,5°C ; d’autre part, les « contributions nationalement déterminées », les fameuses INDC, des différents pays. Mais ni l’un ni l’autre des volets n’est contraignant, aucune sanction n’est prévue en cas de non respect.

L’accord de Paris n’est pas le bouclier absolu auquel on voudrait nous faire croire, mais le retrait des Etats-Unis serait un « crime climatique majeur ». L’objectif des 1,5°C est certes symbolique, mais son abandon n’en constituerait pas moins une catastrophe. Il ne sert à rien d’essayer de se rassurer à bon compte, le danger est réel et grave.

D’autant que Trump va agir immédiatement sur le deuxième volet, la contribution étatsunienne à la lutte contre le réchauffement. L’engagement pris par Obama vise à réduire de 26 à 28 % les émissions d’ici 2025 par rapport à 2005. Ce plan climat correspond à une diminution de 2 Gt d’équivalent CO2, soit environ 20 % des réductions promises de 2016 à 2030 par les 190 Etats qui ont ratifié l’accord de Paris. Ces engagements sont dramatiquement insuffisants et conduisent cumulés, même s’ils étaient respectés,  à un réchauffement de 2,7 à 3,7°C d’ici 2100.

L’accord prévoit un mécanisme de révision, réajustement périodique. Pour tenter de se rapprocher de l’objectif, les contributions des principaux contributeurs devraient être considérablement revues à la hausse. Alors que les Etats-Unis portent la principale responsabilité historique des émissions de gaz à effet de serre, donc de la catastrophe climatique, le non respect de leurs trop maigres engagements fait peser la menace sur l’ensemble de l’humanité.

 

Casser le thermomètre

Le jour même de l’investiture, toute référence au changement climatique a disparu du site internet de la Maison blanche. Anecdotique ? Sûrement pas. De nombreu-ses-x chercheur-e-s alertent sur les menaces qui pèsent sur les financements de la recherche, en particulier le programme de la NASA sur le changement climatique, et sur la menace de l’interdiction qui pourrait leur être faite de communiquer directement leurs recherches au grand public.

Ils et elles lancent un appel à une « Marche du peuple pour le climat », le 29 avril. A l’image de la Marche des femmes, ce rendez-vous pourrait (et devrait) devenir mondial. Analysant que les données informatiques fédérales sont vulnérables, ils et elles travaillent à leur mise en sécurité en réalisant des copies multiples et en les dispersant dans différents serveurs sécurisés dans le cadre d’un programme nommé DataRefuge.

 

Criminels climatiques en bande organisée

Le plan climat a été mis en route par décret (et non par la loi) et repose sur des mesures de régulation édictées par l’Agence de protection de l’environnement (EPA). Après avoir choisi comme ministre de l’énergie Rick Perry, un nationaliste texan qui avait promis de supprimer ce ministère (dont il avait oublié le nom !), Trump a nommé un climato-sceptique à la tête de l’EPA.  Scott Pruitt, actuellement attorney general de l’Oklahoma,  a nié l’influence humaine sur le réchauffement climatique et n’a jamais caché son opposition aux directives de l’EPA.  Ardent défenseur des intérêts des compagnies pétrolières américaines, il a mené des poursuites judiciaires sur beaucoup de fronts contre le plan climat, notamment contre le Clean Power Act,  lancé par Barack Obama pour faire en sorte que les centrales thermiques réduisent leurs émissions de CO2.

Nullement repenti, il s’engage à diriger l’agence « de manière à faciliter à la fois la protection de l’environnement et la liberté d’agir des entreprises américaines ». Le vice-président Mike Pence est un ardent défenseur de l’industrie du charbon. De nombreux membres du gouvernement sont étroitement et financièrement liés aux industries fossiles : Rick Perry et  Trump lui-même avec  Energy Transfer Partners, le chargé des affaires intérieures Ryan Zinke avec Oasis Petroleum, Scott Pruitt avec les frères Koch et... Rex Tillerson avec Exxon !

Donald Trump a aussi promis de reprendre la fracturation pour extraire gaz et pétrole de schiste, d’abolir les dispositions en faveur de l’efficience énergétique des moteurs automobiles et d’examiner favorablement toutes les conditions que les constructeurs mettraient à la relance de leurs activités aux Etats-Unis...

 

Les premières mesures

Enfin, dès son entrée à la Maison Blanche, il a relancé la construction des oléoducs Keystone XL et Dakota Access, dont la mobilisation avait imposé l’arrêt.

Long de 1900 kilomètres, dont 1400 sur le territoire américain, Keystone XL doit transporter 830 000 barils par jour de pétrole lourd extrait des sables bitumineux, donc grâce à une méthode particulièrement polluante, de l’Alberta, dans l’ouest du Canada, jusqu’au Nebraska, dans le centre des Etats-Unis d’où il serait ensuite acheminé, via une portion d’oléoduc déjà existante, jusqu’aux raffineries américaines du golfe du Mexique. Ce pipeline géant est un projet de la firme TransCanada vieux de plus de huit ans.

Quelques semaines avant  la COP21, en novembre 2015, Barack Obama avait rejeté le projet Keystone XL. Autoriser un  tel un projet aurait effectivement mis à mal  son image de champion de  la lutte contre le changement climatique. Le 24 janvier, Trump a pris un décret qui encourage TransCanada à déposer une nouvelle demande de permis.

Dans le même mouvement, il a relancé le Dakota Access Pipeline (DAPL). Il s’agit là d’acheminer  le pétrole de schiste du Dakota du Nord à l’Illinois. Le tracé doit notamment passer sous la rivière Missouri, à environ un kilomètre d’une réserve indienne du Dakota. La tribu sioux de Standing Rock estime que le chantier menace ses sites sacrés ainsi que son accès à l’eau potable en cas de fuites sur l’oléoduc. Pendant des mois, les Amérindiens, soutenus par les organisations écologistes, ont campé sur le site malgré un froid glacial et la répression parfois brutale de la police locale.

Leur mobilisation contre le « serpent noir » avait été récompensée en décembre. Sous pression de l’administration Obama, le corps des ingénieurs de l’armée, propriétaire du terrain, avait refusé de délivrer un permis à la société construisant l’oléoduc et annoncé le lancement d’une étude d’impact environnementale. Le décret signé par Donald Trump demande à l’inverse à l’armée d’« examiner et approuver » le pipeline « de manière accélérée ». L’entreprise Energy Transfer Partners n’attend que cette autorisation pour achever le projet, long de 1885 kilomètre, d’un montant de 3,8 milliards de dollars, d’une capacité de 570 000 barils de pétrole par jour  et déjà réalisé à 80 %.

Ce funeste 24 janvier, une fuite dans un oléoduc a déversé 200 000 litres de pétrole sur le territoire d’une communauté amérindienne, dans la province du Saskatchewan, au Canada. Le lendemain, 529 000 litres de diesel mélangé ont été libérés dans la nature dans l’Iowa.

 

Blocadie

Dans son essai sur le capitalisme et le changement climatique, Tout peut changer, Naomi Klein insistait sur la puissance et la particularité des alliances nouées par ces nouveaux-elles guerrier-e-s du climat, regroupés sous le nom de Blocadie, « un territoire qui ne figure sur aucune carte (...) qui surgit avec une fréquence et une intensité croissante ». Un terme né dans le blocus de Keystone qui voyait déjà l’alliance improbable « des cow-boys et des indiens, des végétaliens (...) et des éleveurs ».

A Standing Rock , plus de 200 tribus se sont unies dans le plus grand rassemblement d’Amérindiens depuis les années 1960-1970, recevant le renfort de plusieurs milliers de vétérans de l’armée américaine. La place des femmes est déterminante dans cette lutte qui reçoit le soutien non seulement des différents groupes de défense de l’environnement, mais aussi de Black Lives Matter, du mouvement pour les 15 dollars et d’autres organisations et coalitions sociales.

Comme l’a dit Angela Davis dans son appel à la résistance collective lors de la marche des femmes :  « La lutte pour la planète – contre le dérèglement climatique, pour garantir l’accessibilité à l’eau des terres sioux de Standing Rock, de Flint, du Michigan, de la Cisjordanie et de Gaza, pour sauver notre faune, notre flore et l’air – est le cœur de la lutte pour la justice sociale. »

Christine Poupin