L’AKP prétendait élever la Turquie au rang des dix plus grandes puissances économiques du monde et a renforcé sa base sociale avec une promesse de croissance économique continue. Mais la période récente voit une nouvelle crise se profiler.
La conjoncture, à la fois internationale et nationale, aidant, l’AKP a tenu sa promesse : le taux moyen de croissance du PIB pour la période de 2003-2007 a été d’environ 7 %. Après les deux années de crise où le PIB n’a progressé que de moins de 1 % (2008) et encore rétréci d’environ 5 % (2009), il y a eu une reprise économique pendant deux années de suite : le taux de croissance a été de 9,2 % en 2010 et de 8,8 % en 2011. Cependant, la croissance a commencé à baisser et s’est stabilisée entre 2 et 4 % depuis 2012.
Un capitalisme de connivence
Le mode d’accumulation, le capitalisme de connivence, que l’AKP a choisi et consolidé après ses premières années au pouvoir, est basé sur la consommation intérieure et sur le secteur du bâtiment et des grands travaux publics. Ce modèle dépend d’un apport annuel de capital d’environ 40 milliards de dollars. Outre les capitaux étrangers, de l’argent – dont la source n’est pas identifiable (très probablement en provenance des comptes bancaires des patrons turcs à l’étranger et des États arabes du Golfe) – fournissait la source par laquelle l’AKP a pu distribuer des appels d’offres lucratifs à ses partisans dans les milieux d’affaires.
Toutefois, ces ressources ont principalement servi à soutenir la demande intérieure, au financement de prêts à la consommation et à des secteurs qui n’entraînent aucun gain de devises, comme la construction. L’épargne intérieure a également reculé de 22 % à 15 % du revenu national. Le commerce extérieur est déficitaire. En conséquence, le déficit extérieur courant de la Turquie est devenu un problème chronique. Le stock de dette extérieure (dont 40 % est à court terme) a atteint près de 60 % du produit intérieur brut.
Dépendance vis-à-vis des capitaux extérieurs
La dépendance vis-à-vis des capitaux extérieurs fragilise l’économie turque. Une large part de ces capitaux sont spéculatifs. Dans les derniers mois, la décision de la Réserve fédérale américaine de hausser ses taux d’intérêt étant devenue imminente d’une part, et les risques politiques et géopolitique croissant de l’autre, ont amené les investissements de portefeuilles à sortir du pays à un rythme accéléré. Et la chute libre de la livre turque a commencé.
La hausse des taux de la Banque centrale turque (pour limiter les sorties de capitaux) poussera l’économie à se contracter. Le dollar plus cher entraînera inévitablement l’inflation des coûts par l’augmentation des prix des biens importés (matières premières, biens intermédiaires), ce qui amènera la Banque centrale turque à de nouvelles hausses de taux.
Boom du chômage !
Le chômage au sens large a augmenté de 10 % en août 2016 par rapport à la période précédente. La proportion de jeunes et de femmes au chômage est supérieure à la moyenne. Ce sont les pires scores des six dernières années. Au cours de la dernière année, un demi-million de personnes de plus sont sans emploi.
Il y a officiellement en Turquie 18 millions de salariés, dont seulement 3 millions dans le secteur public, et seulement 10 % sont syndiqués dans le secteur privé. Seuls un tiers de ceux qui sont membres de syndicats ont droit à la négociation collective. Et la majorité écrasante des syndiqués appartiennent à des syndicats de droite ou contrôlés par le gouvernement.
À un moment où le chômage et l’inflation augmentent, les difficultés économiques vont peser sur la capacité de l’AKP à poursuivre son programme d’assistance sociale (dont bénéficient environ 10 millions de personnes) qui est le pilier de sa légitimité.
Tous les éléments sont donc présents pour qu’une crise économique et sociale éclate. Pourtant, Erdogan les voit comme le produit d’un complot international contre lui...
D’Istanbul, Masis Kürkçügil