Publié le Mercredi 5 octobre 2016 à 07h00.

USA : « Faire l’Histoire » ou maintenir le statu quo ?

Hillary Clinton affirme qu’elle fera l’Histoire en tant que première femme présidente, mais aucun autre candidat n’incarne une telle continuité avec le passé…1

La droite républicaine lance régulièrement des attaques sexistes contre Clinton, et Trump ne fait pas exception […] Mais s’opposer à ces insultes n’implique pas de croire que sa présidence serait une bonne chose pour la majorité des femmes, ou pour la majorité des gens qui travaillent. Au vu de son bilan, c’est même le contraire.

En siégeant au conseil d’administration de Walmart, rien de moins, elle a largement démontré son allégeance au grand capital. Elle a soutenu des politiques qui s’en prenaient spécifiquement aux travailleurs et aux pauvres, comme la Loi sur le crime de Bill Clinton (qui a permis l’incarcération en masse des Noirs) et le saccage des programme sociaux. En tant que secrétaire d’Etat2, elle a imposé la domination US à l’extérieur, en défendant la guerre secrète des drones au Yémen, au Pakistan et en Somalie, ainsi que la mortifère escalade de l’intervention en Afghanistan […].

 

Petites différences, grandes convergences

Il y a bien sûr des différences entre Démocrates et Républicains, sinon les gens n’auraient pas de raisons de choisir les uns plutôt que les autres. Mais elles sont moindres que ce que ce qui les unit, en tant que serviteurs fidèles du capitalisme US. Et sous certains aspects, les Démocrates ont même mieux réussi que les Républicains à remplir leurs obligations envers Wall Street et les sociétés américaines.

Pendant sa présidence, Bill Clinton (qui est annoncé comme le futur « tsar économique » de la nouvelle administration) a soutenu et fait passer dans la loi plus de déréglementations financières que tout autre président […] Sous l’administration Obama, Wall Street a fait des affaires en or pendant que la classe ouvrière voyait se creuser l’écart entre riches et pauvres. Les premiers sont sortis de la Grande Récession avec une part du gâteau accrue. En 2013, les 3 % de familles les plus riches ont capté 30,5 % du revenu national, contre 27,7 % en 2010.

Le Parti démocrate sert fondamentalement les intérêts du capital, non ceux de la majorité de la population dont il attend les voix. Et pourtant, tous les quatre ans, les différences entre les deux partis, pour minimes qu’elles soient sur certains sujets, sont exploitées pour gagner des voix et éviter les critiques. Il faudrait cette fois soutenir Hillary Clinton et suspendre toute critique jusqu’à ce que la menace Trump soit écartée.

Certains affirment que Clinton aurait « évolué » sur certains sujets – comme le mariage gay, auquel elle s’était opposée encore récemment, ou les politiques d’incarcération de masse qu’elle a critiquées pendant sa campagne après les avoir soutenues dans les années 1990 – et que ce serait une raison pour la soutenir. « Hillary est bien sur les questions LGBT », a ainsi soutenu l’éditorialiste Dan Savage : « elle n’a pas toujours été bien sur le mariage gay, mais Barack Obama non plus (…) Quand vous allez voir un politique en lui disant "s’il vous plait, changez d’avis", lorsqu’il l’a fait vous ne passez pas le reste de votre vie à lui dire "Allez vous faire voir pour n’avoir pas changé avant", vous dites "Merci d’être passé du bon côté, nous sommes heureux de vous avoir avec nous" ».

Cet argument met à tort l’accent sur un changement d’avis personnel de Clinton, en sous-estimant ce qui l’a provoqué : les mobilisations et l’éveil politique qui ont fait tourner l’opinion publique sur le mariage pour tous et les droits LGBTQ. C’est pour cela qu’Obama et Clinton ont changé de ton.

La même chose vaut pour la conversion de Clinton à propos des lois de criminalisation des années 1990. Sans l’action des militants de Black Lives Matter, sans auparavant les années de mobilisation pour la justice et les droits des prisonniers, sans des gens tels que Michelle Alexander et son livre The New Jim Crow3, qui a exposé le racisme du système de justice criminelle, jamais Clinton n’aurait changé d’avis.

 

Pour faire l’histoire, s’organiser de façon indépendante

Ce ne sont pas là des exemples de pourquoi voter pour Hillary Clinton, mais des raisons de ne pas croire dans ces grands dirigeants politiques et de s’organiser indépendamment des Démocrates. Clinton fanfaronne sur sa place dans l’Histoire, mais ce ne sont pas les Clinton de ce monde qui font réellement l’histoire. Les changements fondamentaux – tels que la journée de travail de huit heures, la fin de la ségrégation raciale ou l’égalité des droits au mariage – sont venus de l’organisation des travailleurs en faveur de ces exigences. Lorsque les enseignants ont fait grève en 2012 à Chicago, ils se sont affrontés à une vague néolibérale qui semblait inarrêtable, en exploitant la soif de résistance à un agenda de « réforme » scolaire qui détruisait les écoles publiques – et à son promoteur, le maire Emmanuel Rahm, qui avait déjà aidé à détruire les protections sociales et faire adopter les lois de criminalisation sous Bill Clinton.

Quelque 30 000 enseignants, avec à leurs côtés des dizaines de milliers de parents, d’élèves et de membres de la classe ouvrière de Chicago, ont alors imposé la fermeture des écoles. Le combat pour l’école publique est loin d’être terminé, mais cette grève a montré ce qu’il faut faire pour stopper le rouleau-compresseur néolibéral.

Le pression s’exercera maintenant pour voter Hillary Clinton afin d’écarter Donald Trump. Mais voter pour Clinton, qui est clairement une représentante du statu quo, signifie non seulement rabaisser nos exigences mais aussi affaiblir notre camp. Le Parti démocrate n’œuvrera jamais en faveur des travailleurs. Il nous faut construire une alternative politique qui s’attaque aux profits des capitalistes et construise le pouvoir de la classe ouvrière, pas des forces prêtes aux compromis et concessions.

 

Elizabeth Schulte

 

  • 1. Extraits d’un article publié le 29 juin sur le sitede l’ISO, https ://socialistworker.org/2016/06/29/making-history-or-maintaining-the-status-quo
  • 2. Ministre des affaires étrangères sous Obama, de 2009 à 2013.
  • 3. « The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindness » a été publié aux Etats-Unis en 2010. Le terme de « lois Jim Crow » désigne les lois, fédérales ou des Etats du Sud, qui ont maintenu et renforcé la ségrégation raciale, de l’après-Guerre de Sécession jusqu’à 1965.