Publié le Dimanche 1 novembre 2015 à 09h02.

Les étudiant-e-s : unité et diversité

Qui sont les étudiant-e-s et comment parler d’eux ? La question n’est pas nouvelle et l’on pourrait dire que le débat qu’elle recouvre s’est souvent organisé entre deux pôles, l’un mettant en avant une compréhension unifiante et l’autre insistant sur la diversité recouverte par cette catégorie, avec pour point de départ l’hétérogénéité sociale des individus qu’elle recouvre.

Un point de vue politique et stratégique demande pourtant de savoir ce qui est commun et ce qui est divergent chez les étudiant-e-s. Au début du XXe siècle, on pouvait analyser l’université comme une « pyramide inversée » en comparaison de la composition sociale de l’ensemble de la société : la grande majorité des étudiant-e-s venait des couches les plus favorisées, tandis que les enfants des classes plus populaires, pourtant majoritaires dans la société, en étaient totalement absents, à de rares exceptions près.

Depuis l’après-guerre, on a assisté à une transformation. Du fait de nouveaux besoins en terme de qualification de la main-d’œuvre, les portes de l’université et l’accès à l’enseignement supérieur se sont ouverts pour des milliers de jeunes issus de la classe ouvrière. La formation des enfants de la bourgeoisie et des futurs cadres de la République et du privé étant elle confiée à des grandes écoles (du type Science Po) ou des filières sélectives. Pour le reste, c’est une université totalement transformée qui s’est mise en place, une université « de masse » telle que nous la connaissons aujourd’hui. 

 

Unité étudiante sous le régime de l’université capitaliste

Cette nouvelle université a conduit à la constitution des étudiant-e-s comme un groupe social de masse et même comme potentiel sujet : désormais, être étudiant-e correspond à des conditions de vie particulières, partagées par la grande majorité des 2,5 millions d’étudiant-e-s actuels (dont 1,5 million dans les universités), que ceux et celles-ci soient issus de la classe ouvrière ou de secteurs de la petite bourgeoisie. Ce groupe  possède des intérêts communs, bien qu’il soit composé d’individus qui divergent sur le plan de l’appartenance de classe (que l’on prenne en compte leur origine, par exemple en regardant la classe sociale des parents, ou ce à quoi ils se destinent, c’est à dire majoritairement les couches moyennes et supérieures du salariat, même si la tendance est au déclassement).

Pour être compris correctement, l’ancrage matériel divers des étudiant-e-s dans la société doit aussi être complété d’une prise en compte de la situation transitoire dans laquelle se trouve ce groupe social du point de vue des rapports de production : même quand ils travaillent à côté de leurs études, les jeunes scolarisés dans l’enseignement supérieur ne sont pas encore localisés définitivement à une place stable au sein des rapports de production. 

C’est donc cela qui les conduit à partager un certain nombre de revendications spécifiques concernant l’accès à l’éducation, les conditions d’études (nombre d’élèves par classe, conditions de tenue des examens...), et plus en général les conditions de vie étudiante (logements, bibliothèques, repas, loisirs, santé...). Assister à des cours intéressants, dans des amphithéâtres qui ne soient pas bondés, où les documents de cours sont disponibles facilement, sont autant de revendications minimales que peuvent partager l’ensemble de étudiant-e-s.

Ces intérêts communs sont un moteur essentiel des mobilisations sur nos universités, ainsi que de nombreux mouvements étudiants nationaux, notamment contre les contre-réformes qui remettent en cause depuis les années 2000 un certain nombre d’acquis du service public universitaire.

Mais cette diversité sociologique, qui rattache le milieu étudiant à chaque classe fondamentale à ses deux extrémités, cette indétermination temporaire sur le plan de l’appartenance directe de classe, et la précarité des conditions de vie de la majorité des étudiant-e-s, en font aussi un acteur capable de s’emparer de la multiplicité des contradictions qui traversent la société en les politisant.

L’histoire du mouvement étudiant dans les pays à universités de masse est riche de cette participation de la jeunesse scolarisée à la scène politique.

 

Contre - réformes et augmentation des inégalités

Les conséquences de ces contre-réformes (LMD en 2002, loi LRU en 2007, Fioraso en 2013, pour les plus importantes) sur le milieu étudiant sont contradictoires. En effet, d’un côté, elles ont réactualisé l’existence d’intérêts communs à une majorité d’étudiants : les coupes budgétaires imposées par « l’autonomie des universités » ont rendu plus visibles encore les revendications du milieu étudiant. Des questions élémentaires, comme le droit à ne pas être assis par terre en amphi ou même tout simplement à être accepté à l’université, sont aujourd’hui à l’ordre du jour. La mobilisation qui a lieu en ce début de rentrée 2015 pour l’inscription d’étudiant-e-s « sans-facs » du fait de la baisse des capacités d’accueil des universités (il y aurait 3000 cas à l’échelle nationale) est un exemple de cette situation. En un sens, et même si nous n’avons vécu depuis 2009 que des réponses locales et ponctuelles à cette situation et non une mobilisation d’ampleur nationale, les contre-réformes, en accentuant la misère étudiante, appellent à la reconstruction de ce sujet social qu’est le mouvement étudiant.

Dans le même temps, il est évident que les conséquences des attaques ne pèsent pas de la même manière sur tous les étudiant-e-s. Quand on ne parvient pas à s’inscrire à l’université mais que l’on peut compter sur ses parents pour financer une école privée, ce n’est pas la même chose que lorsqu’on a comme perspective de trouver un boulot le plus rapidement possible pour survivre, ou d’avoir une carte étudiante pour faciliter l’obtention d’un titre de séjour. Quand on a les moyens de se payer des cours particuliers pour compenser le fait que les TD sont surchargés, ce n’est pas la même situation que lorsque 100 % du temps que l’on passe en dehors de l’université est consacré à un job étudiant.

Ainsi, les contre-réformes et les coupes budgétaires de ces dernières années ont eu pour conséquence d’accentuer les inégalités sociales à l’université, rappelant à tou-te-s que sous l’égalité formelle et le discours méritocratique, les classes sociales ne s’arrêtent pas aux portes de la Sorbonne. Entre les universités, et même au sein d’une même université, ce sont comme deux mondes qui cohabitent : les un-e-s dans les filières de plus en plus sélectives, les autres dans les filières ou facs dévalorisées, le tri se faisant de fait sur des critères sociaux.

Parallèlement, les contenus des cours sont chaque année plus soumis aux regards du patronat, dont l’accès aux conseils d’administration universitaires est facilité par la recherche de subventions mais aussi par les réformes du régime universitaire, avec en ce moment la mise en place de gigantesque regroupements d’établissements, conséquence de la loi Fioraso. En plus de la division précédemment décrite entre filières d’élites et filières « poubelle », l’université continue d’être la courroie de transmission de l’idéologie dominante, par ses enseignements, mais également par son fonctionnement, les loisirs qu’elle propose, la sélection qu’elle met en place.

Et ce sont notamment les étudiantes qui en pâtissent. Alors qu’elles représentent environ la moitié des inscrit-e-s en licence, elles ne seront qu’une poignée à aller jusqu’au doctorat. Pression morale et matérielle, sexisme, harcèlement, famille, autant d’obstacle pour étudier dans des universités qui n’ont pas de crèches, qui multiplient les soirées corporatistes, qui nous laissent seules face à nos profs ou notre directeur de recherche, etc.

 

Quelle orientation face à ces divisions ? 

La bataille pour l’unité des étudiant-e-s pour leurs revendications concrètes est un enjeu important. Nous nous battons pour que chacun ait accès à l’université et à de bonnes conditions d’études, quel que soit sont statut, son origine sociale, son genre, son identité, sa religion, nationalité, etc. Si en s’unissant, les étudiant-e-s réussissaient à mettre un frein aux attaques qui pleuvent aujourd’hui, ce serait évidemment un point d’appui dans la situation. 

Mais pour que cela soit possible, nous devons aussi batailler pour que le mouvement étudiant ne se limite pas à des revendications d’égalité purement formelles. Parler d’accès pour tou-te-s à l’éducation tout en passant sous silence que plus de la moitié des étudiant-e-s travaillent pour survivre, c’est au final ne se battre que pour une partie des étudiant-e-s. De fait, l’unité du mouvement étudiant et de la jeunesse en général, et la lutte contre les contre-réformes, sous peine de devenir formelles et de fait corporatistes, ne peuvent pas se faire seulement autour du programme de l’« égalité des chances » interne à l’université, qui prétend que seul-e-s les « meilleur-e-s » d’entre nous doivent avoir le droit à des conditions d’études et de vie correctes, car ce programme n’est qu’un cache-sexe de la sélection sociale à l’université. 

Ce qu’il nous faut donc, non seulement pour mettre un frein aux contre-réformes, mais plus encore pour en finir avec cette université des classes dominantes, c’est un programme qui prenne en compte l’ensemble des contradictions sociales.

Contre les bourses au mérite dont la droite étudiante fait son emblème, nous revendiquons ici et maintenant une allocation d’autonomie pour tous les jeunes, accompagnée de possibilités de logements indépendants, d’une couverture médicale, de crèches sur les lieux d’études, etc., tout cela pour permettre à la jeunesse de sortir de sa situation de dépendance matérielle (besoin d’un toit, d’un couvert, etc.) et morale (encadrement de la vie affective et sexuelle, choix religieux) envers les parents.

Lieu de reproduction de l’idéologie dominante, l’université n’échappe évidemment pas aux oppressions qui structurent notre société. Le droit à choisir ou ne pas choisir son identité de genre ou son prénom sur les formulaires d’inscription ou les feuilles d’examens, ou encore la revendication qu’une carte étudiante fasse office de titre de séjour pour tou-te-s les étudiant-e-s étranger-e-s, constituent alors des combats démocratiques clés.

Par ailleurs, si nous combattons cette université de classe, c’est aussi contre la division qu’elle instaure entre étudiant-e-s et travailleur-se-s. Etant donné le nombre d’étudiant-e-s qui travaillent pour survivre (sans compter ceux et celles qui prennent des petits jobs d’étudiant-e-s l’été ou pendant les vacances, ou qui sont contraint-e-s de travailler au noir), cette séparation est relativisée dans les faits, mais elle se maintient au niveau de l’organisation de la société, par la division entre travail matériel et travail intellectuel. Si surmonter cette dernière constitue une tâche qui implique le dépassement du système d’exploitation capitaliste, notre programme quotidien contient une série de revendications visant à ouvrir l’université aux travailleur-se-s et à leurs enfants, avec ou sans emploi, avec ou sans papiers. C’est en ce sens que nous revendiquons par exemple l’existence de cours du soir, ou des dispenses d’assiduité pour les étudiant-e-s salarié-e-s.

Mais notre lutte pour mettre l’université au service de la majorité exploitée et opprimée ne s’arrête pas à la question de l’accès universel. Il s’agit aussi de batailler pour que le savoir qui y est produit et diffusé soit subverti, en faisant obstacle à sa prise en charge par l’idéologie dominante et en posant la perspective de sa mise au service des travailleur-se-s et de la population. Si l’unité du milieu étudiant constitue une bataille politique, celle-ci a donc pour condition de possibilité l’ancrage du mouvement étudiant dans le clivage entre les classes, du côté des exploité-e-s et des opprimé-e-s.

Laura Varlet