Publié le Samedi 18 octobre 2014 à 14h42.

Tendres amours entre camarades : l’idéologie politique du mouvement « Lesbians and Gays Support the Miners »

« The South Wales miners’ strike of 1984-1985 saw the formation of a curious alliance between a plucky group of young homosexuals from London and miners in Dulais Valley. In Dancing in Dulais, an initial wariness on the part of the young gays, the miners, and the miners’ families gives way, through sometimes delicate interactions, to a loving and purposeful solidarity. The unembellished videography captures well this fascinating-to-witness union of two disparate yet ultimately kindred groups. The « Pits and Perverts » benefit concert features the Bronski Beat ».

PopcornQ Movies at PlanetOut.com

Tendres amours entre camarades [1] : l’idéologie politique du mouvement « Lesbians and Gays Support the Miners [2] »

Interview de Ray Goodspeed, l’un des membres fondateurs de LGSM, par Colin Wilson pour RS21 (Revolutionary socialism in the 21st century)

Le film Pride raconte l’histoire du mouvement Lesbians and Gays Support the Miners. Pour un film tout public, c’est une réalisation extraordinaire et fascinante. Pendant près d’un an en 1984-85, plus de 100 000 mineurs s’étaient mis en grève illimitée. La grève était devenu la question politique la plus importante de l’époque, et la défaite infligée aux mineurs par Thatcher devint une de ses plus grandes victoires. Et pourtant, bien qu’elle se soit terminée par une défaite, la grève avait montré nombre d’exemples de solidarité, tels celles qui se nouèrent entre le mouvement Lesbians and Gays Support the Miners (LGSM) de Londres et les communautés minières de Onllwyn dans la vallée du Dulais au sud du Pays de Galles.

Attention, spoiler : dans cette interview sont discutées des choses qui se passent dans le film Pride, parfois en les comparant à l’histoire réelle — vous avez l’option de voir le film avant de lire cet article.

Colin Wilson. Est-ce que tu peux nous dire quelque chose sur la situation des gays dans les années 80 ? Dans le film il est dit que la majorité sexuelle pour les rapports entre hommes était de 21 ans.

Ray Goodspeed. Jusqu’à l’âge de mes 8 ans, l’homosexualité était passible de prison. J’ai eu mon premier vrai ami une semaine avant ses dix-huit ans alors que moi-même j’en avais 23. Si cela avait été révélé à la police, j’aurais pu être envoyé en prison. Mon ami en parla à sa famille ce qui me fit paniquer de peur, tant je redoutais l’arrivée des gendarmes frappant à ma porte. Le coup du « mignon petit flic » parait impensable aujourd’hui, mais à l’époque les plus beauxjeunes flics étaient envoyés, tout de cuir vêtus, comme appâts. Au milieu des années 80 il n’était pas illégal d’ être homo, mais il était illégal de proposer à quelqu’un un acte sexuel, en particulier dans les lieux publics. Par conséquent, proposer à quelqu’un dans la rue de vous suivre chez vous pour un verre, équivalait à de la prostitution. C’était considéré comme du racolage à des fins immorales, et les gens se faisaient souvent arrêter dans les toilettes publiques. Quelquefois, vous pouviez voir un homme adossé à l’entrée du bar cuir « The Coleherne » et si vous aviez le malheur de simplement lui dire « ça te dirais ? », il sortait les menottes immédiatement.

À l’Université de Newcastle, il y avait en 1980 une association gay mais pour avoir une aide financière du syndicat étudiant, il fallait être en mesure de donner les noms d’au moins dix membres. Mais aucun des membres de l’association ne voulait écrire son nom car aucun d’entre eux ne souhaitait que l’université sache qu’ils en faisaient partie. Par conséquent il était de tradition de de faire le tour des groupes de gauche ou progressistes, pour trouver des militants prêts à s’inscrire. En tant que secrétaire du Club travailliste je devins ainsi un membre fondateur de l’Association gay de Newcastle, alors que j’étais encore dans le placard. Ensuite je me suis dit « oh merde, qu’est-ce que j’ai fait ? »

J’ai fait mon « coming out » deux ans avant la grève. Je l’ai fait par une lettre adressée à ma mère, je ne me sentais pas capable de le lui dire en face. Ma mère, effondrée, s’évanouit. Oui elle s’évanouit. J’ai donc été obligé de rendre visite à mes parents et braver l’orage- la scène du film où l’on voit le jeune garçon Joe faire son « coming out » est tout à fait authentique. Nous aussi avons eu droit aux coups de poing sur la table et aux gémissements. Au bout du compte ma mère finit par se réjouir que je sois homo, quant à mon père il finit par en accepter le fait. Ma mère avait pris l’habitude de me rendre visite à Londres. Un dimanche matin elle apporta le petit déjeuner au lit à mes co-locataires stupéfaits, les deux dans un grand lit et remontant draps et couvertures jusqu’au cou. Je revois encore ma mère, une femme d’un certain âge, dans plusieurs bars gays totalement entourée de jeunes hommes encore dans leur vingtaine. Mais certains d’entre eux ne parlaient plus à leur parents. Quand j’écrivis à ma mère, j’avais en fait inclus un paragraphe qui disait, « je comprendrai tout à fait si tu ne souhaites plus jamais me revoir ». L’histoire de la chanson de Jimmy Somerville Small Town Boy [3] est une expérience vécue. Les jeunes homos s’enfuyaient vers Londres. La capitale attirait les gays de province qui venait y vivre leur homosexualité sans se cacher.

Les douanes avaient fait une descente à « Gay’s the Word [4] », la librairie du film, parce que celle-ci vendait des romans contraires à la décence, pas pornographiques, juste vulgaires, des romans plus ou moins SM comme « Cum » (Gicle) etc. Et c’est bien ainsi que la police fit une descente à Gay’s the Word et emportèrent tout le stock. Un évènement qui serait aujourd’hui inconcevable.

Pendant la grève, au travail je restais au placard. Il n’était pas imaginable de faire autrement. Je travaillais pour le service public des travaux municipaux d’Islington [5]. Quelques uns de mes collègues se doutaient que j’étais homo, je me gardais bien de confirmer ou nier, et ils n’avaient de cesse de répéter combien c’était rigolo de casser du pédé et comment ces putains de sales tapettes devraient être passées à la chambre à gaz, ou exilées sur une île et explosées. Je restais assis dans mon bureau, tapant sur ma machine à écrire tout en écoutant ces propos. Un jour j’ai fini par faire mon coming out. J’étais la première personne du département des travaux publics à le faire, et je l’ai fait devant tout le monde contre les injonctions de mon représentant syndical qui disait que j’allais être tué. Mais je l’ai quand même fait, et bien fait. Tout le monde s’en foutait et nous avons eu ces discussions franchement bizarres sur la sexualité avec les hommes sur le chantier.

CW. Je sais que vous êtes très content du film, mais cela reste quand même une fiction. Comment cela s’est-il passé lorsque vous avez rencontré les mineurs pour la première fois ? C’était comme deux mondes différents qui se rencontraient ?

RG. Tout à fait. Il y avait de la curiosité et une certaine inquiétude quand le premier discours fut prononcé, éprouvant pour les nerfs. Nous avancions un peu à tâtons.

En fait nous sommes arrivés très tard, la veille à une heure du matin. C’est pour cette raison que nous avons campé sur le plancher de Dai. On a passé la journée à visiter les châteaux et la campagne, écouter les histoires et les légendes du coin, et comprendre l’importance du charbon et des mines. Puis nous avons débarqué à la soirée. Dans le film on remarque une certain froideur à notre arrivée dans la salle. En réalité, lorsque nous sommes arrivés, il y a eu un silence de mort, mais tout aussitôt nous avons eu droit à une salve d’applaudissements. Bien sûr personne n’est sorti de la salle.

CW. À la fin du film, après les attaques de la presse contre le mouvement Lesbians and Gay Support the Miners, les mineurs votent pour ne plus accepter l’argent des collectes venant du collectif. Est-ce qu’ils ont vraiment fait ça ?

RG. Non, cela ne s’est pas passé comme ça. Nous l’avons appris récemment, ils avaient eu ces discussions avant que nous les rencontrions. Donc c’est vrai qu’ils n’étaient pas tous d’accord. Les mineurs ne nous en ont jamais parlé mais ils en ont parler au scénariste. Par contre le vote a été gagné en faveur de l’acceptation des fonds et ils ne sont jamais revenu sur la décision. Comme le dit le personnage de Cliff dans le film : « Lorsqu’ils parlent de nous dans les journaux, je ne les crois pas, pourquoi devrais-je les croire lorsqu’ils parlent d’eux ? » Les opposants étaient minoritaires. Jamais nous n’avons ressenti une quelconque hostilité ou froideur à notre égard.

CW. Les villages miniers étaient très isolés n’est-ce pas, cela affectait l’attitude des communautés de mineurs ?

RG. Oui, ils étaient complètement isolés. Par exemple nous n’avions pas réussi à trouver le village d’Onllwynn. Et pour corser le tout, leur langue maternelle c’était le gallois et pour nous parler ils devaient s’exprimer en anglais leur deuxième langue. La vitesse à laquelle ces barrières sont tombées est proprement miraculeuse.

Nous y sommes descendus trois ou quatre fois. Au fur et en mesure qu’ils nous connaissaient mieux, nos relations se sont améliorées. Ce qui est vrai dans le film, c’est qu’ils étaient curieux et nous leur répondions avec franchise. Ils nous ont demandé par exemple « qui fait le ménage chez vous ? ». C’est la vérité.

CW. La grève avait transformé les femmes dans les communautés de mineurs. Au début il y avait eu des photos de femmes aux seins nus dans le canard du syndicat (comme le font les tabloïds anglais), mais à la fin, les femmes jouaient un rôle de premier plan.

RG. Les hommes comme les femmes ont été transformés par la grève, mais plus particulièrement les femmes. Elles faisaient le tour du pays pour parlers dans des réunions publiques à des centaines de personnes, alors qu’elles n’étaient jamais allées bien plus loin que la porte des écoles ou du marché auparavant. Et elles ont été amenées à rencontrer toutes sortes de gens dont elles ne soupçonnaient pas l’existence,pas juste les gays, elles rencontrèrent des républicains irlandais, les membres de communautés noires, des personnes auxquelles elles n’avaient jamais pensé auparavant.

Pour les hommes c’était la même chose ; nombre d’entre eux étaient venus à Londres et y sont restés pendant la grève, pour y faire des collectes. Ainsi ils nouaient des relations, bavardaient, allaient dans les bars, dans les clubs et quelquefois faisaient des collectes avec nous. C’est de cette façon aussi que des amitiés ont débuté.

CW. Il y a un moment dans le film où tous les mineurs dans le club entonnent la chanson « Bread and Roses [6] ». Est-ce que cela s’est vraiment passé comme ça ?

RG. Tout le monde pense que c’est du pipeau, des bêtises sentimentales. Bon c’est vrai ils n’ont pas chanté « Bread and Roses » mais ils se sont vraiment levés et ont chanté de cette manière. C’était une tradition — il y avait un chœur d’hommes à Onllwyn — et les femmes chantaient des chansons folkloriques et de gauche. Une femme montait sur une chaise et commençait à chanter et les autres la rejoignaient. Ça ne s’est donc pas passé exactement comme dans le film mais ils ont vraiment chanté, et c’était très émotionnel, tout le monde pleurait.

CW. Est-ce que vous pouvez en dire plus sur les activités du collectif ?

RG. Nous faisions des collectes dans absolument tous les bars. Nous allions systématiquement dans les endroits où n’étions jamais passés. Ce qu’il y avait de formidable cette année-là c’était que c’était très marrant et très « fun », je n’ai jamais eu autant de plaisir à socialiser ; on rencontrait beaucoup de gens, on faisait les boites, on se beurrait, on flirtait, on dansait puis on sortait le chapeau des collectes dehors à la fin de la soirée. C’était donc complètement pétés que nous le faisions. J’ai conservé de bons souvenirs de toutes ces folles éméchées se déversant sur les trottoirs du bar The Black Cap, de la présence de Jimmy Somerville [7], chanteur pop récemment monté au n°1 du hit-parade, passant le chapeau pour les mineurs.

Tout ça était planifié à chaque réunion. Certains bars nous autorisaient à faire les collectes à l’intérieur, commeThe Bell dans le quartier de King’s Cross. Pour d’autres, nous savions que ce n’était même pas la peine d’essayer et donc nous faisions les collectes à l’extérieur. C’était ces mêmes bars— comme The White Swan à Mile End [8]qui m’avait jeté dehors parce que je distribuais des tracts pour la marche des fiertés — qui voyaient d’un mauvais œil la Gay pride. Leur raisonnement se résumait à peu près à cette phrase : arrêter de faire des histoires, en jouant les martyres vous semez le désordre. Aujourd’hui quand j’y pense, cela me fait rire car ce sont ces mêmes bars et clubs qui prétendent avoir inventé la Marche des Fiertés. En réalité ils ont pris le train en marche lorsqu’ils ont compris qu’ils pouvaient en tirer du fric.

En règle générale notre présence était bien perçue des homos. Les quelques réactions négatives dans le film sont rendues de façon authentique. « Pourquoi faites-vous des collectes pour les mineurs plutôt que contre le SIDA ? » était une remarque fréquente. Et quelques uns d’entre eux venaient à nous pour nous apostropher : « Je suis de Barnsley [9], je supporte pas ces connards, c’est pour cette raison que j’habite à Londres ». Mais d’autres gars nous disaient « Je viens d’une communauté de mineurs, tiens prends cet argent ». Donc ça marchait dans les deux sens.

Nous avions aussi organisé une braderie de fripes avec défilé de mode. Il y avait beaucoup de monde. C’était incroyablement déjanté avec toutes ces vieilles folles qui faisaient dons de leurs vieilles fripes. Donc nous nous étions dit qu’au lieu de nous contenter de vendre des vêtements d’occase, nous choisirions les tenues les plus paillettes et les plus bizarres et organiserions la veille un défilé de mode. C’est ce que j’aimais le plus dans le collectif LGSM. D’un côté nombre d’entre eux pouvaient être des “trots” sérieux, mais en même temps nous ne craignions pas de jouer les folles hystériques. On a tenu cette grande soirée au Electric Ballroom [10]. En une soirée nous avons recueilli 5 000 livres sterling. Le groupe Bronski Beat, d’autres orchestres, des personnalités firent des donations pour la tombola, donnèrent disques d’or et de platine.

CW. Dans le film, les membres du collectif LGSM sont présentés comme étant de naïfs idéalistes, mais en réalité certains d’entre vous étiez des gauchos chevronnés.

RG. Je faisais partie depuis dix ans du groupe Militant Tendancy, bien qu’il ne soutenait pas ni ne reconnaissait LGSM et avait une position dédaigneuse par rapport aux droits des gays. Mark [11] était le Secrétaire Général de la Ligue des jeunesses communistes, l’organisation jeune du Parti communiste. Quelques uns d’entre nous faisons de l’entrisme au Parti travailliste, et nous avions des réunions régulières dans une organisation appelée Lesbian and Gay Young Socialists [12].

L’un desmembres de JSLG avait un contact dans la vallée de Dulais, un pote à un copain, un lien très ténu avec ce coin-là mais on n’avait pas non plus choisi au hasard. Nous avions pensé ramasser des fonds pour les mineurs, et quand Mark et Mike Jackson apportèrent les seaux pour les collectes à la Gay Pride, nous nous sommes dit « on va les aider », c’est ainsi que les communistes et les Trots se retrouvèrent ensemble. Et nous nous sommes réunis dans l’HLM de Mark dans le quartier d’Elephant and Castle [13].

Sur les onze camarades qui avaient démarrer le mouvement LGSM, nous étions tous soit trotskystes, soit communistes ou très proche des communistes. Mais il est aussi vrai qu’en un rien de temps nous avons intégré des gens qui ne l’étaient absolument pas.

Nous avions Ray et Reggie, le couple du film qui cherchaient à faire quelque chose ensemble, et ils sont toujours ensemble, donc cela a bien fonctionné. Ils étaient typiques de toute une couche de gens qui n’avaient jamais fait ce genre de choses auparavant. Et il y avait aussi des anciens des mouvements de libération homosexuels, des personnes qui avaient été actives dans les années soixante-dix. Nigel Young faisait partie du cortège homo lors de la manif contre la loi anti-syndicale [14] du Parti Conservateur en 1972.

Des radicaux gays avaient déjà tenté de rejoindre les travaillistes auparavant ; même pendant la grève des mineurs de 1972 ; ce n’était donc pas la première fois, mais c’était cette fois incroyablement mieux réussi. Nous avons donc pu bénéficier de la riche expérience de camarades plus âgés, bien qu’il y ait eu des tensions entre les anciens des luttes de libération qui avaient une perspective de gauche mais était homos avant tout, et les Trots, qui étaient Trots avant tout.

CW. Vous avez dû avoir toutes sortes de discussions politiques…

RG. Oh, des discussions sans fin. Je ne saurais même pas par où commencer, nous n’avons pas le temps. Des discussions interminables…

CW. Des discussions productives ou des discussions à se taper la tête contre les murs ?

RG. Des discussions intéressantes. Au départ de LGSM nous avions deux règles. Mark avait insisté là-dessus et je pense qu’il avait tout à fait raison. La première était que notre soutien aux mineurs devait être sans condition. Si les mineurs nous avaient dit d’aller nous faire foutre, nous n’aurions pas cessé de faire les collectes. Ce que nous avons fait, ça n’a jamais été dans l’optique d’en retirer un quelconque bénéfice. Deuxièmement, personne n’était autorisé à dire quoique ce soit ou voter sur une décision s’il ou elle ne participait pas aux collectes de soutien.

Et donc certes nous avions des discussions, mais au bout du compte, cela finissait toujours comme ça : « c’était très intéressant, mais reprenons nos collectes ». Bien sûr, quelquefois nous faisions des déclarations politiques, ou parlions à la presse pour expliquer qui nous étions, et il y avait des débats sur la façon dont nous devions présenter les choses.

Il y avait aussi des débats tactiques, l’exemple le plus frappant de cela avait été lorsque les Conservateurs ont commencé à importer du charbon de Pologne pour casser la grève. Mark ne voulait pas nous permettre de condamner cela. Mark, parlant du point de vue du Parti communiste, ne voulait pas que nous condamnions ces importations de charbon de Pologne. C’était ridicule. Il nous menaça de démission. Son bluff fonctionna et nous n’avons pas condamné l’action des Conservateurs. Quelques uns d’entre nous réclamèrent un vote, mais le perdirent. On céda. On ne va pas arrêter le charbon polonais par des discussions. C’était en partie oublier nos principes, en partie on pensait, « tout ce que nous voulons c’est soutenir les mineurs autant que nous pouvons. On ne va pas empêcher le charbon polonais en en parlant. Donc pourquoi se diviser dans cette campagne de soutien parfaite ? » La plupart d’entre nous pensaient que s’étriper sur ce point n’en valait pas la chandelle.

Mais les discussions n’en sont jamais arrivé au point de cesser de se parler. On pouvait se crêper le chignon puis aller dans un bar, se soûler la gueule et finir par s’embrasser. Il y avait même des histoires romantiques entre « ennemis ». Mark était du mauvais côté dans ce débat, mais je serais allé au bout du monde sur des charbons ardents pour Mark Ashton. J’étais fou de lui. L’amitié passait au-dessus des désaccords politiques.

CW. LGSM était un groupe uniquement homo, dans les années 80, c’était la norme pour les différentes communautés opprimées de s’organiser séparément. Vous aviez discuté de cette question ?

RG. Le mouvement homo de libération y était clairement en faveur, ainsi que Mark et ses amis. Il y avait aussi toutes ces folles de bars qui faisaient aussi parti du groupe. Ils étaient très mal dégrossis. Des diamants bruts. Certains garçons avaient connu les aspects les plus glauqus de la scène gay londonienne. Ils étaient féroces. De vrais sauvages efféminés de la classe ouvrière, du super matériau. Ils voulaient que ce soit réservé aux homos.

Certains d’entre nous, chez les Trots nous nous tourmentions sur la question. Pourquoi est-ce que cela devrait être uniquement gay ? On a fini par suivre le mouvement. Rétrospectivement, je crois que c’était correct. ça n’était pas comme si nous pensions que c’était comme cela que nous devions toujours nous organiser. La plupart d’entre nous étions aussi par ailleurs des activistes militants. Mais je crois que d’être dans un mouvement séparatistes nous a permis de pratiquer un humour déjanté, et nous donner de la confiance pour faire campagne. Nous savions exactement comment s’ouvrir les portes de la communauté gay. Je pense qu’une campagne mixte n’aurait pas été en mesure d’organiser un défilé de mode glamour avec une vente de fripes.

Mais il n’y avait pratiquement personne pour défendre l’idée d’une organisation séparatiste comme le summum des solutions. Mon positionnement depuis le début était que c’était bien, parce que cela aidait les gays à rejoindre et se connecter avec le monde des travailleurs. C’était une solution médiane. Et donc, alors que certains doutaient d’une campagne exclusivement gay, l’idée était de drainer ces personnes en direction du monde ouvrier. En ce sens nous pensions que c’était utile.

CW. Dans le film des femmes quittent l’orga parce que celle-ci était dominée par des mecs, bien que Steph, le principal personnage lesbien reste.

RG. Dans le film, Steph est l’héroïne lesbienne, et les autres sont plutôt ridiculisées. Il y avait une majorité écrasante de mecs. Des quelques femmes qui faisaient partie du groupe, toutes ne partirent pas. Il y avait beaucoup de mecs homos, durs à cuire de la classe ouvrière et au franc-parler, qui n’étaient pas toujours polis. Les réunions étaient dominées par les grandes gueules. Mais je ne pense pas qu’il y avait de la misogynie dans leurs propos. Et nous fûmes vexés lorsque le groupe de femmes s’est divisé, parce que nous étions convaincus qu’elles avaient eu un engagement au préalable de faire un groupe exclusivement femmes.

Nous aurions pu avoir un groupe femmes à l’intérieur de LGSM, mais elles se regroupèrent pour former le mouvement Lesbians Against Pit Closures [15] et ne revinrent jamais. Elles choisirent d’aller vers un puit de mines dans une autre partie du pays, dans le comté de Nottingham. Elles cessèrent de venir à Dulais et restèrent totalement séparées de notre groupe. C’est dommage. Mais elles ont fait du bon travail, et de quel droit pourrais-je dire qu’elles avaient tort ? Le mouvement gay à l’époque se déchirait sur les questions hommes/femmes ; il y avait des marches des Fiertés séparées pour les homos et les lesbiennes. C’est état de fait n’en était que l’écho.

CW. Quels sont les arguments politiques que vous défendiez ?

RG. Nous sommes là au cœur des divergences à LGSM. Le raisonnement du Parti Communiste revenait à parler de deux communautés, qui étaient toutes deux sous le coup des attaques du gouvernement. Les mineurs et les gays sont les victimes de la répression policière. C’est la solidarité qui doit nous animer avant tout. En ce qui nous concernait, nous les Trots, nous avions plus un discours de classe, les homos et les mineurs faisaient partie de la classe ouvrière, si les mineurs perdaient, c’était toute la classe ouvrière qui en pâtirait. La plupart d’entre nous étions des syndicalistes actifs, et par conséquent nous faisions partie du mouvement ouvrier de toute façon.

Le mouvement des Jeunesses Communistes et Mark étaient en plein dans leur phase « eurocommuniste », c’était une question de communautés juxtaposées. Il s’agissait de construire une alliance arc-en-ciel entre les femmes, les gays, les noirs et aussi la classe ouvrière. Je rechignais en partie devant ce raisonnement. Pour moi il s’agissait plutôt de différentes catégories appartenant à la même classe. Un jour où je présidais une réunion à la mairie du quartier de Lambeth à Londres, j’avais déclaré « n’avoir jamais été aussi fier d’être gay, et n’avoir jamais été aussi fier aussi d’appartenir à la classe ouvrière ». Mes deux identités étaient réunies, ce que je n’aurais jamais cru arriver un jour. Mike Johnson expliquait qu’aller à Dulais était comme rentrer chez soi, entrer dans une communauté ouvrière et se sentir tout à fait accepté. Cela était vrai pour beaucoup de gens participant à la campagne, être amené au cœur même des communautés ouvrières avait eu un profond impact, parce qu’il s’agissait de notre camp social et du fait de ce qui s’était passé avec nos familles.

CW. Qu’est devenu LGSM ensuite ?

RG. Beaucoup reprirent la routine de leur vie personnelle, trouvèrent du boulot, tombèrent amoureux, achetèrent leur maison. Ils ont gardé leurs idées politiques même si pour certains elles s’étaient diluées quelque peu.

Pendant la grève j’avais quitté Militant Tendancy. Je m’étais engagé avec le mouvement de soutient Lesbians and Gays Support the Printworkers [16] qui ne fut pas un aussi grand succès mais utile tout de même. Ensuite j’ai travaillé en tant que bénévole pour London Lesbian and Gay Switchboard [17]. Puis la loi Clause 28 [18] est arrivée et nous avons organisé le mouvement syndicaliste de Trade Unionists against Section 28  [19] qui était différent de la campagne Stop the Clause : ceux-là étaient plutôt engagés a essayer de convaincre les élus en catimini. La grève des mineurs et LGSM nous avait enseigné qu’il fallait aller vers la classe ouvrière et ne pas se contenter d’essayer d’avoir l’appui de leurs leaders. Nous avons compris que si l’on approche un autre groupe de travailleurs sur des bases solidaires, la réponse est positive. Je suis intervenu dans quantité de réunions syndicales après avoir pris contact avec les secrétaires de fédérations locales. Nous avons élaboré un kit d’information sponsorisé par le CPSA, le syndicat des fonctionnaires, un guide simple sur les droits des homos destiné aux représentants syndicaux. Pour un temps j’ai rejoint le Green Party (Parti des Verts). Puis après la guerre du Golf de 1991 je n’ai plus eu d’activité politique pendant une quinzaine d’années. Je n’avais plus l’énergie : j’avais été constamment sur le pont depuis mes quatorze ans. Les Conservateurs avaient gagné les élections de 1992 et je me suis dit, oh, qu’ils aillent se faire voir.

Aujourd’hui je fais partie de Left Unity. Je pense que Left Unity est un mouvement qui doit beaucoup à l’esprit LGSM, un rassemblement unitaire de gens à qui on ne pose pas de questions idéologiques avant d’adhérer. Rejoins-nous d’abord et on discutera ensuite. Rejoins-nous dans nos actions, et on parlera ensuite des problèmes et on en débattra. Left Unity me passionne plus que tout autre chose que j’ai fait depuis LGSM.

CW. De nombreux camarades sont morts du SIDA, y compris Mark Ashton.

Oui, Mark est mort et d’autres copains sont aussi décédés. Je suis allé à de nombreux enterrements. D’ailleurs, s’ils avaient voulu tomber dans la mièvrerie, ils auraient pu filmer Mark en train de mourir. Tous les mineurs étaient de retour pour son enterrement. Nous avons sorti les banderolles, la fanfare et tutti quanti. Nous sommes allés au cimetière. Si vous pensiez que la Gay Pride de 85 était émouvante, vous auriez dû assister à l’enterrement. Il y avait des mineurs et leurs femmes en sanglots. Sa mort était comme un coup final porté au cœur, même pour ceux qui n’étaient pas d’accord avec ses opinions politiques. Il y avait quelque chose de touchant dans son personnage, un portrait authentique dans le film.

CW. Et les gens de Dulais ?

RG. Nous n’avons jamais vraiment perdu le contact avec eux, mais c’est très émouvant de les revoir. Cliff est mort, Hefina aussi. Siân est député, Dai travaille pour le syndicat de l’audio-visuel BECTU. Dans les vallées il y a des problèmes de délinquance, de drogue et d’alcoolisme.

Pendant un an nous avions répété « si les mineurs perdent, nous perdrons tous ». Aucun d’entre nous n’avait idée combien c’était vrai. Dans les trente dernières années nous avons été détruits. Aujourd’hui nous ramassons les morceaux. Il nous semble être revenu en 1880, au temps de William Morris [20] et Keir Hardie [21], on repart à zéro. On doit revenir à des concepts de base sur les syndicats et la solidarité. J’espère que le film jouera un rôle dans cette reconquête.

À l’époque, il était inconcevable de rester neutre, la grève avait polarisé tout le pays, on était ou pour les mineurs ou contre. LGSM était à la fois, trots, communiste, travailliste, transexuel, activistes des mouvements de libération gay, des gens non politisés — si je pouvais les revoir, je les serrerais tous dans mes bras. Les désaccords que nous avions étaient sans importance. Tous ces gens étaient de mon bord, et je les aime tous.

Voir en ligne : http://rs21.org.uk/2014/…

P.-S.

Traduction Marc Ducassé (NPA32)Toutes les notes sont du traducteur

Portfolio

Notes

[1] D’après la pièce de théatre « The dear love of comrades » du dramaturge anglais Noël Greig, qui raconte l’histoire d’amour de trente ans entre Edward Carpenter 1844-1929 (socialiste, poète, philosophe, activiste gay) et George Merril, un homme à tout faire.

[2] Les lesbiennes et les homos soutiennent les mineurs

[3] Un garçon d’une petite ville

[4] D’après la comédie musicale d’Ivor Novello

[5] Quartier au centre-nord de Londres

[6] Du pain et des roses, d’après la phrase de Rose Schneiderman « The worker must have bread, but she must have roses, too ». A été repris dans plusieurs chansons, mais surtout un slogan exigeant un salaire juste et des conditions décentes.

[7] Chanteur du groupe Bronski Beat

[8] Quartier de Londres, à l’est de la Cité

[9] Ville minière du sud du Yorkshire

[10] Salle de concert de Camden Town, quartier du centre-nord de Londres

[11] Mark Ashton

[12] Jeunes Socialistes Lesbiennes et Gays (JSLG)

[13] Quartier de la rive sud de Londres, au sud de la City

[14] Industrial Relations Act

[15] Lesbiennes contre la fermeture de puits de mines

[16] Les lesbiennes et les gays soutiennent les ouvriers du livre

[17] Centre téléphonique gay et lesbien de Londres

[18] Cette législation interdisait aux collectivités locales de promouvoir l’homosexualité

[19] Les syndicalistes contre la section 28

[20] Artiste et activiste, membre fondateur de la Socialist League

[21] Socialiste écossais, premier travailliste élu au Parlement de Westminster