Publié le Samedi 20 juillet 2024 à 19h00.

Kanaky : « Mon oncle Guillaume Vama est tout sauf un terroriste »

Un rassemblement de solidarité avec les sept Kanak détenuEs et déportéEs en France était organisé à Bourges le 6 juillet dernier. Madlyne Vama, la nièce de Frédérique Mulavia — directrice de cabinet du président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan — détenue à Riom, est intervenue en soutien aux détenus et en particulier à son oncle Guillaume Vama lui aussi emprisonné à la maison d’arrêt de Bourges.

«J’ai une pensée pour ma tante qui est à Riom, Frédérique Mulavia, mais je vais parler de mon oncle, Guillaume. Guillaume Vama est tout sauf un criminel et encore moins un terroriste comme certains partisans de cette société, soi-disant démocratique, veulent vous le faire croire. Avec son parcours très atypique, mon oncle a su faire de sa résilience un moteur pour ses activités agricoles, tout en valorisant la culture kanak qu’il représente fièrement grâce au travail, aux enseignements et aux sacrifices de nos ancêtres. 

Guillaume est originaire de l’île des Pins, Kunié en langue kanak, une île plus au sud de la Grande-Terre en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui, âgé de 30 ans, mon oncle s’est construit un chemin d’entrepreneur engagé dans la révolution agricole et dans la valorisation de notre culture kanak. Malgré l’avis familial, il a arrêté l’école sur les bancs du collège. Il a décidé de rentrer à la tribu à l’île des Pins et s’est focalisé sur les savoir-faire traditionnels et ancestraux de notre île, accompagné et aidé par sa famille. Il a alors étudié auprès de sa famille leurs techniques agricoles ancestrales, s’est imprégné des connaissances des anciens, tout en commençant à s’autoformer via internet. Ces moments passés en tribu avec sa famille lui ont permis d’éveiller, de s’éveiller et de fortifier sa conscience sur la nécessité de développer l’autonomie alimentaire en Kanaky-Nouvelle-Calédonie par des pratiques agricoles plus en accord avec la nature et sa culture. 

Ces moments passés en tribu lui ont permis de s’éveiller et de fortifier sa conscience sur la nécessité de développer l’autonomie alimentaire en Kanaky-Nouvelle-Calédonie

Passionné par le travail de sa terre ancestrale nourricière, Guillaume a décidé à l’âge de 20 ans de quitter le pays pour effectuer un service volontaire en Hongrie afin de rencontrer et de découvrir d’autres techniques agricoles. Il a effectué des visites au sein de grands groupes céréaliers et laitiers européens, ce qui l’a ­bouleversé et marqué profondément. Cette expérience lui a permis de comprendre et de conscientiser « ce qu’il ne fallait surtout pas faire » dans son projet personnel car cette manière de concevoir l’alimentation à l’euro­péenne ne correspondait ni avec sa culture ni avec ce qu’il souhaitait prôner. Une rencontre particulière avec un permaculteur hongrois au milieu de ses grosses productions agricoles l’a renforcé à croire au vivant et à sa simplicité. C’est en découvrant finalement ces deux techniques agricoles diamétralement opposées qu’il a choisi de se lancer dans l’agroforesterie qu’il estima plus appropriée à notre pays. Comme de nombreux jeunes Kanak, il rentre au pays afin de partager ses connaissances et ses compétences pour construire notre avenir de demain. 

Autodidacte, il comprend rapidement qu’il lui faut prouver sa légitimité à travailler dans le domaine de l’agriculture, entre autres, et choisit alors de passer un CAP en horticulture en alternance avec la Chambre d’agriculture de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Son diplôme en poche, il engage donc un palabre coutumier de huit mois sur l’île des Pins pour mettre en place une exploitation agricole. Il était conscient que « la plupart des jeunes Kanak aiment travailler la terre » et a donc voulu créer une entreprise qui serve d’exemple et qui donne envie aux jeunes Kanak de s’investir. En 2017, Guillaume décroche l’un des Trophées des Jeunes Agriculteurs lors de la Journée néocalédonienne des jeunes agriculteurs (JNJA). Il poursuit la mise en œuvre de son projet d’agroforesterie sur ses terres à Ouaméo, à l’île des Pins, qui l’amène à rencontrer de nombreux acteurEs du secteur et à accroître le potentiel de son projet d’autosuffisance alimentaire.. 

La crise du covid lui confirme un de ses objectifs. Rendre le pays autonome alimentaire devient plus urgent. Il faut donc former, donner envie et expliciter le sens aux jeunes du pays. Guillaume Vama crée ainsi la société Tradtech, Tradition et Technologie, qui a pour objectif d’allier tradition et modernité dans l’agriculture, tout en valorisant ainsi l’intelligence collective pour un objectif commun. 

C’est au travers de l’agroforesterie qu’il décide de coupler les connaissances ancestrales kanak et qu’il met en route ce nouveau projet. Passionné sans cesse dans l’action et certain de ce qu’il a à faire, il est accompagné d’un groupe de collègues engagés et décide de créer également l’association Agir NC qui regroupe l’ensemble des initiatives entrepreneuriales en agroforesterie. L’association Yvea, mise en place avec des collègues coachs, dont il est à l’initiative et président, est destinée à accompagner la jeunesse calédonienne dans laquelle il intervient en tant que consultant en relation d’aide. Par ces différents projets, il souhaitait rassembler des jeunes entrepreneurEs avec l’idée de créer des branches du projet TradTech dans la zone Pacifique, et particulièrement avec des jeunes entrepreneurs ayant la même compréhension que lui des enjeux à venir pour la planète et en particulier pour notre île, la Kanaky. C’est-à-dire de créer un modèle de développement durable qui respecte les traditions et les cultures d’Océanie au travers d’un entreprenariat fondé sur des socles solides pour ensuite prétendre à des projets innovants dans le cadre du développement de l’économie bleue et verte du pays. 

En 2023, Guillaume suit auprès de Thomas D’Ansembourg, psychothérapeute et formateur en relation humaine, une formation à la communication non violente et devient son représentant en Océanie. Cette expérience contribue à développer une prise de conscience collective lui permettant d’agir au mieux pour les générations futures entre les deux mondes qui se bousculent : « tradition » et « technologie ». 

Le monde spirituel a une place importante dans la culture kanak

Pour finir, je terminerai sur le fait que le monde spirituel a une place importante dans la culture kanak. Les enseignements spirituels nous l’apprennent : il y a cinq ouvertures de conscience sur Terre. Les âmes primaires qui vivent leur première vie sur terre ne s’intéressent pas à la spiritualité et agissent sans réfléchir. Les âmes jeunes ne sont pas du tout autonomes ni responsables, n’aiment pas travailler, attendent que d’autres s’occupent d’elles matériellement et financièrement. Les âmes adultes ne s’intéressent qu’à l’argent, le paraître, le pouvoir, la réussite sociale et refusent la spiritualité. Les âmes élevées sont dans la recherche d’enseignements spirituels holistiques et sont tournées vers les autres et ont encore besoin d’être guidées, et il y a les vieilles âmes qui sont au service des autres et qui s’y engagent. Elles sont, dès leur plus jeune âge, tout à fait conscientes de ce qu’elles ont à réaliser. Elles sont définitivement spirituelles et ont pour particularité probante d’avoir de grandes connaissances innées. En choisissant donc, dès son entrée dans l’adolescence, de se mettre au service de l’agriculture pour nourrir et former les siens, Guillaume Vama se rapproche sans aucun doute de l’ouverture de conscience des vieilles âmes s’engageant au service des autres. »

Madlyne Vama, propos recueillis par Robert Pelletier