Entretien. Comédienne, humoriste, Audrey Vernon affiche sa singularité en alignant spectacles et billets sur l’antenne de France Inter aux contenus assez subversifs. Assumant pleinement sa solidarité avec le camp du monde du travail, elle a récemment subi les foudres de la direction de la radio suite à une touchante chronique à propos du suicide d’Édouard Postal à la gare de Paris Saint-Lazare.
Des spectacles sur Marx et Jenny ou sur les milliardaires, des chroniques radio sur l’inégale répartition des richesses... Comment votre parcours personnel vous a-t-il emmené à aborder ce type de sujets, dont on ne peut pas dire qu’ils soient souvent traités, en particulier dans le registre humoristique ?
Je me suis installée à Paris, il y a 15 ans et j’ai assisté à l’explosion des inégalités et à l’accroissement de la misère. J’ai vu des retraités fouiller dans les poubelles à la sortie du Franprix, des hommes qui travaillent me demander de l’argent pour acheter du lait pour leurs enfants... Ces derniers temps, on voit des familles qui dorment dans la rue et les postiers, les infirmières, les cheminots qui sont désespérés...
C’est impossible de ne pas voir ce qui se passe, on se croirait revenu chez Dickens et Marx. Il me paraissait impossible de ne pas parler de ça... C’est la seule façon que j’ai de continuer à vivre dans ce monde-là. Et puis des auteurs de théâtre que j’adore (Brecht, Claudel, Molière, Dostoïevski...) ont traité ces sujets-là. Alors, ça m’a encouragée...
Le fil rouge qui revient régulièrement dans les spectacles ou chroniques, c’est non seulement une critique du monde des riches, mais aussi en opposition une défense des conditions de vie et de travail de celles et ceux d’en bas, qui produisent les richesses. Comment voyez-vous l’articulation entre votre métier et cette forme d’engagement ? Dit autrement, l’art peut ou doit-il être politique (au sens premier du terme) ?
Baudelaire disait que toute esthétique est à la fois une morale et une politique. J’ai envie de donner envie de changer le monde... En tout cas, de ne pas accepter l’état de fait, de se dire qu’on peut le modifier. J’ai l’impression que l’on a oublié, par manque de culture révolutionnaire, que nous ne sommes pas obligés d’accepter l’ordre du monde tel qu’on nous l’impose. Au 19e siècle, tout était plus flexible, les changements de régimes intervenaient très souvent, ils se disaient « on efface tout et on recommence ».
C’est dommage qu’aujourd’hui tout semble figé. L’école nous apprend que c’est comme ça... On enseigne Hugo mais pas la révolte d’Hugo ! Si ce qui est enseigné à l’école était vraiment enseigné dans ses conséquences, l’ordre établi devrait être renversé tous les vingt ans...
Je suis née sous un régime politique et économique, j’espère ne pas mourir sous le même. Quel ennui ! C’est pour ça que j’aime beaucoup jouer les lettres de Marx et Engels, parce que ça rappelle qu’à la base, c’était juste des jeunes gars de 20 ans qui ont décidé de changer les choses, avec des livres, des articles, une énorme joie de vivre et de l’amour...
Très récemment, votre chronique sur France Inter suite au dramatique suicide d’Édouard Postal en gare Saint-Lazare a suscité pas mal de réactions : de soutien pour beaucoup d’auditeurs indignés par le suicide, un peu moins sympathique de la part de la direction de la radio. Pouvez-vous y revenir ?
Je comprends la direction de la SNCF, je comprends la direction de France Inter... Ce que j’ai fait n’était pas « bien » mais je sais pourquoi je l’ai fait. Parce que comme disait Engels, « Il est vraiment grand temps que tout cela s’améliore. »
Je n’aurai pas dû citer le nom des cadres de la SNCF, ce n’était moralement pas très sympa. Ils sont peut être eux aussi victimes de leur direction, du système, etc. Mais ce que je constate, c’est que dès qu’on porte atteinte à la sensibilité de certaines personnes, ils obtiennent immédiatement réparation. J’ai commis une injustice qui a été immédiatement réparée, et j’aimerais que la même chose soit valable pour Édouard Postal et tous les autres...
Quel regard portez-vous sur cette campagne présidentielle, et de façon générale sur ce que l’on peut appeler la politique politicienne ?
Je m’en fiche un peu... Peu importe, pour moi, qui sera élu, je ferai avec... Mon rêve serait qu’on décide une fois pour toute et qu’après, on parle d’autre chose... On dirait que la politique est devenue le nouveau sport à la mode, le nouveau « The Voice ».
J’ai du mal à m’y intéresser, je voudrais que ça roule tout seul... Mais l’humanité n’est visiblement pas prête pour l’anarchie !
Comme vous devez le savoir, le NPA présente pour la seconde fois un ouvrier à l’élection présidentielle, Philippe Poutou. Qu’en pensez-vous ?
Je suis bien contente, Philippe Poutou a des choses intéressantes à dire et à raconter. Heureusement qu’il y a encore les « petits candidats » car les gros ont trop envie de devenir chef... Et comme disait Louise Michel, « devenir chef c’est s’abaisser » !
Bravo Philippe, en ne voulant pas l’être, il donne envie que ce soit lui. Merci de déployer autant d’énergie simplement pour porter cette parole nécessaire.
Propos recueillis par Manu Bichindaritz