Publié le Samedi 2 juin 2012 à 09h17.

Front national. Une progression annoncée, un danger à combattre

En nombre de voix, l’extrême droite progresse. C’est un des dangers de l’heure. Pour le contrer, les prétentions morales seront de piètres remparts, alors que la politique concrète de la gauche au pouvoir se soumettra à la puissance de l’argent, du capital. C’est pourquoi nous avons besoin d’un parti anticapitaliste, comme d’un mouvement ouvrier capables de s’opposer à l’austérité d’où qu’elle vienne

Marine le Pen n’a pas été au second tour, ni dépassé les 20 %, mais elle a cependant cumulé 6,4 millions de voix, soit 17,90 % des suffrages. C’est une des données importantes des rapports de forces politiques qui se sont dessinés les 22 avril et 6 mai, et cela va peser lors des législatives, comme par la suite.

En 2002, Le Pen et Megret réalisaient 19,20 % soit 5,48 millions de voix, sachant que se présentait aussi CPNT (les « chasseurs »), dont une partie de l’électorat est proche de l’extrême droite, qui réalisait 4,23 %. Marine Le Pen perd donc 1,3 point mais, la participation étant plus forte, elle progresse de 900 000 voix.

Derrière ces chiffres, il y a des évolutions notables. En effet, le FN recule fortement dans les grandes villes et les banlieues ouvrières, où il est même souvent derrière le Front de gauche. Il chute de plus de cinq points à Lyon, Toulouse, Montpellier et Nice, et de quatre points à Lille, Paris et Marseille. Dans dix grandes villes sur quinze, le FdG est devant le FN. Dans cinq villes de banlieue aux quartiers dits chauds (Grigny, Vaulx-en-Velin, Saint-Denis, la Courneuve et Aubervilliers), l’extrême droite passe de 20,63 % en 2002 à 11,88 %. Le FN ne progresse pas vraiment dans ses bastions de l’Est, qui vont du Gard à la Moselle, par contre il passe de 10 à 15 % dans les départements ruraux de l’Ouest (Dordogne, Cantal, Landes, Charente...).

Sarkozy perd 1,69 million de voix, par rapport à 2007, tout en bénéficiant d’une partie des 3,5 millions d’électeurs perdus par Bayrou. Les gains de Marine Le Pen viennent principalement de cet électorat de droite. Sa stratégie visant à rompre l’ostracisme dont son parti était l’objet a fonctionné. Et cela, au moment où l’échec de Sarkozy comme de sa politique visant à flatter les préjugés d’extrême droite tout en faisant du pied à Bayrou laisse la droite affaiblie et divisée.

Capitulation à gauche, démagogie à droite

Les mécanismes politiques qui ont abouti à cette situation ont pour ressort les capitulations et impuissances de la gauche ainsi que la démagogie populiste de la droite, amplifiées par les pressions de la crise. Il y a là les composantes essentielles d’une crise politique latente, du fait du discrédit du système que Marine Le Pen qualifie d’UMPS. La crise use rapidement les équipes au pouvoir, elle accentue les contradictions entre les discours et les actes, met à nu les mensonges des hommes politiques ressentis comme autant d’agressions méprisantes par les travailleurs, les classes populaires.

Cette logique s’est mise en place dans la foulée du premier septennat de François Mitterrand, quand la droite et la gauche cohabitaient dans la gestion des affaires. Elle s’est poursuivie avant que la crise ne vienne renvoyer dos à dos la politique de la gauche et de la droite, l’une et l’autre soumise, à travers l’Europe, à la défense des intérêts des groupes financiers et industriels contre les peuples. La démoralisation du monde du travail, frappé de plein fouet par la précarisation, le chômage, la dégradation des conditions de vie et de travail, l’insécurité sociale généralisée, a créé le terreau sur lequel ont germé les préjugés réactionnaires. Cela, d’autant plus que la droite tentait de préserver son influence sur une partie de son électorat en jouant la même sinistre musique démagogique, aidant ainsi le FN.

La gauche est restée tétanisée, incapable de réagir, d’offrir une perspective, parce que soumise à l’ordre établi, à la volonté des puissants. Sa victoire ne contrecarre pas cette évolution car elle est le résultat du rejet de Sarkozy, non d’une politique rassemblant les classes populaires dans une perspective de remise en cause de la dictature de la finance. Elle laisse le champ libre à Marine Le Pen, à sa politique qui dévoie le mécontentement social sur le terrain du nationalisme, du chauvinisme et du racisme.

Ceci dit, l’évolution même des résultats du FN, la dynamique à gauche qui s’est exprimée surtout autour du Front de gauche, mais à laquelle ont participé aussi les campagnes de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud, illustrent l’instabilité de la situation comme les enjeux des luttes sociales et politiques à venir. Rien n’est joué. Certes, les évolutions politiques dont témoignent ces élections s’inscrivent dans des processus qui se déroulent au niveau de nombreux pays d’Europe, avec l’émergence de partis populistes de droite extrême ou d’extrême droite, voire parfois de formations réellement fascistes, utilisant la violence physique contre le mouvement ouvrier. Mais il n’y a là aucun automatisme. La suite dépend de la capacité du mouvement ouvrier, tant syndical que politique, à reprendre l’initiative en s’affirmant comme une force d’opposition aux politiques d’austérité, y compris contre la gauche libérale.

« La chef de l’opposition, c’est moi »

Marine Le Pen veut créer un nouveau parti dont elle serait l’axe, un parti de droite extrême, nationaliste et chauvine, anti-immigrés, hostile à l’Europe et misant sur son effondrement, rassemblant le FN et une partie de l’UMP. Elle a évoqué le 1er mai le début d’un « combat historique » pour « le grand parti du rassemblement national ». Prochaine étape : les législatives de juin, à l’occasion desquelles elle souhaite voir « entrer massivement à l’Assemblée nationale des députés du Rassemblement bleu marine ».

Le 22 avril, le FN a dépassé 12,5 % des inscrits – le seuil pour se maintenir au second tour des législatives – dans 353 circonscriptions sur 577. Même si ses scores diminuent, il a une forte capacité de nuisance pour l’UMP. De là à obtenir des députés, c’est une autre affaire. Quoi qu’il en soit, la situation créée à l’issue de la présidentielle constitue un sérieux avertissement. Il est clair que l’influence de l’extrême droite, sa capacité à trouver une place dans le jeu institutionnel, comme dans toute la vie du pays, représentent un terrible danger pour le monde du travail. Elles traduisent une dégradation du rapport de forces en faveur des classes dominantes. Il n’y a nul besoin de crier au fascisme pour le comprendre, au moment même où le dirigeant de la BCE, Mario Draghi, lie les possibilités de croissance à la remise en cause des derniers acquis du droit du travail, plaidant pour une précarisation généralisée.

Face à la menace du FN, la contre-offensive nécessaire

Ces élections constituent une mise en garde. La gauche au pouvoir se pliera aux besoins des marchés, des banques. François Hollande s’est engagé à honorer la dette illégitime et injuste... Ses discours « humanistes », comme ceux sur l’égalité et la justice, ne l’empêcheront en rien de défendre l’identité nationale ou de s’opposer à l’immigration.

L’enjeu de la bataille sociale et politique qui s’ouvre est de ne pas abandonner le terrain à l’extrême droite, de construire contre elle, mais aussi contre le gouvernement libéral, une force d’opposition à gauche ; une force qui lutte pour unir le monde du travail et la jeunesse, pour défendre leurs droits, pour faire vivre au quotidien, dans les quartiers et sur les lieux de travail, la solidarité entre tous les exploités quelles que soient leurs origines, pour combattre le racisme ; une force qui situe son combat au niveau de toute l’Europe, contre tous les replis nationalistes et chauvins. La tâche est d’unir le monde du travail et ses organisations contre toute politique d’austérité, pour en finir avec la dictature des groupes financiers et industriels

Yvan Lemaitre