Publié le Mercredi 14 décembre 2011 à 09h24.

Primaires PS : innovation démocratique ou régression politique ?

On passera rapidement sur la tentative pitoyable des dirigeants UMP de relativiser la participation aux primaires socialistes… avant de lâcher que, peut-être, la droite devrait y avoir recours en 2017 ! Pour autant, aussi bien à gauche que parmi les analystes, le sens profond des primaires ne fait pas accord.

Pour le politologue Rémi Lefebvre1, les primaires comme nouveau mode de désignation du candidat socialiste constitue « une réponse à l’échec de la rénovation » de ce parti, qui contribue à « l’affaiblissement de la légitimité militante et idéologique » du PS. Leur adoption par le PS manifesterait tout à la fois sa propension à « se plier plus encore à la logique des institutions de la ve République » et son « renoncement au vote des catégories populaires ». Aussi séduisante que soit cette thèse, il faut sans doute y regarder de plus près.

La caractéristique la plus évidente des primaires PS version 2011 est assurément d’avoir copié jusqu’à la caricature le rituel de la présidentielle. Dans un débat contradictoire2 avec Rémi Lefebvre, Paul Alliès – partisan des primaires et soutien d’Arnaud Montebourg – le revendique d’ailleurs explicitement : « on a finalement choisi de faire un décalque du droit électoral et institutionnel pour qu’un maximum de gens se reconnaissent dans la procédure ». Comme lors de la « vraie » présidentielle, les candidats doivent d’abord recueillir des parrainages de notables. De même, la primaire socialiste a ses « vrais » candidats dont l’objectif est de gagner – c’est-à-dire d’être désigné à l’issue du second tour – et ses « petits candidats » qui ne nourrissent aucun espoir d’être choisis au final et qui, du coup, affirment des positions plus tranchées. Enfin, les deux finalistes défendent des versions certes différentes mais finalement assez proches d’un même programme fondamental, la défense du capitalisme mondialisé.

Ce dernier point est essentiel. Telle que pratiquée sous la ve République, l’élection du président – au suffrage universel et à l’issue d’un second tour où ne restent en lice que deux candidats – poursuit un double objectif : bipolarisation et personnalisation. Il s’agit d’imposer la bipolarisation de la vie politique à travers l’alternance régulière de deux grands partis – ou de deux grandes coalitions – et substituer la compétition d’individus ayant rendez-vous avec « l’histoire » à la confrontation des programmes politiques. De ce point de vue, le calendrier retenu par le PS est tout à fait éclairant : à travers l’adoption du Projet socialiste (printemps 2011), l’orientation et le programme du parti ont été choisis préalablement au candidat et sont censés s’imposer à lui. A priori, la primaire – donc, une consultation large du peuple de gauche, en tout cas bien au-delà des rangs du PS – n’avait pas pour fonction de trancher un débat politique qui, en principe, l’avait déjà été… par le parti lui-même.

Pour autant, la machine à anesthésier le débat politique n’est pas d’un rendement parfait : chacun s’accorde à reconnaître que le score d’Arnaud Montebourg a constitué la principale surprise de la primaire. Même si l’on a un regard extrêmement critique sur les thèses défendues par le personnage, force est de constater qu’elles sont en rupture ou, au moins, en décalage important avec la pensée unique social-libérale communément partagée par la direction socialiste. Naturellement, Montebourg a profité du silence que s’est imposé le « courant de gauche » officiel animé par Benoît Hamon rallié à Martine Aubry. Il n’en reste pas moins que, de façon (très) partielle, le débat d’idées s’est quand même invité lors du premier tour de la primaire. Une volonté de rupture – certes velléitaire, ambiguë et, bien évidemment… minoritaire – a réussi à trouver un chemin et une expression, même dans l’aire politique polarisée par le PS, même à travers un processus aussi cadenassé par les différentes fractions de l’appareil que les primaires. Si l’on prend un peu de recul, cela permet d’interroger également l’élection présidentielle façon ve République : sa critique par la gauche radicale demeure tout à fait pertinente. En même temps, il est difficile de nier que cette même gauche radicale a, depuis maintenant plusieurs décennies, tenté d’utiliser cette élection – qu’elle conteste ! – pour contourner la classe politique et tenter de pallier son faible enracinement électoral…

Bien entendu, le succès et le résultat des primaires socialistes sont principalement la manifestation de la volonté grandissante d’en finir avec Sarkozy. Mais ce constat conjoncturel ne solde pas les questions posées par cette expérience, notamment en termes de renforcement des aspirations populaires à peser sur les processus politiques. r

François Coustal

1 . « Les primaires socialistes, la fin du parti militant » Rémi Lefebvre. Août 2011. Editions Raisons d’agir.

2. Lire sur le site Mediapart

http://www.mediapart.fr/journal/france/011011/primaire-ps-est-ce-la-fin-du-politique