Publié le Vendredi 16 septembre 2016 à 10h19.

Pourquoi les dates des 19 et 20 octobre peuvent marquer un tournant dans la situation sociale et politique

La loi travail n'est pas une contre réforme de plus, c'est un changement de société. 

L'ampleur de la régression sociale en cours et à venir se lit à la violence de la répression qui a marqué tous ces derniers mois. Il faut remonter à la guerre d'Algérie pour trouver un tel niveau de répression. Elle ne se fait pas dans le cadre d'une guerre coloniale mais dans celui d'une guerre sociale contre le monde du travail et toutes les libertés qui lui sont liées. 

L'état d'urgence qu'accompagne le 49.3 amorce par sa durée la fin de l'état de droit : 32 militants sont déjà condamnés à la prison ferme pour des manifestations ce printemps, d'autres vont être encore interpellés au cours des manifestations à venir, des centaines de procès sont en cours, le droit de manifester est mis en cause, de très nombreux militants syndicalistes se font licencier et sont poursuivis pendant que la pire démagogie raciste de ce gouvernement socialiste ouvre encore plus la porte à l'extrême droite. 

Voilà le monde de la loi travail qui se profile dans toute l'Europe. Car les mêmes tendances sont à l'action de la Grèce à l'Espagne en passant par la Grande Bretagne ou l'Allemagne.

En même temps, cette évolution ne se fait pas sans de nombreuses résistances sociales, sur le terrain économique, écologique ou des migrants. Ces luttes ont longtemps été dispersées jusqu'au mouvement contre la loi travail de ce printemps qui a marqué un premier pas dans la recherche d'une unification.

Avec les mesures anti-ouvrières et liberticides prises par un gouvernement socialiste, les résistances dispersées, la lutte contre la loi travail de ce printemps et enfin l'absence de réel débouché électoral en 2017, on assiste depuis un certain temps à une progression de la conscience lutte de classe de bien des militants en particulier ouvriers, notamment dans la CGT mais peut-être aussi dans une nouvelle génération de jeunes à qui on détruit l'avenir et qui sont confrontés aux violences policières. 

Avec les poursuites à Air France et celles des dockers du Havre, la condamnation à la prison ferme des 8 de Goodyear... dit symboliquement et démonstrativement le futur de ceux qui voudraient relever la tête. 

Cependant le cas Goodyear n'est pas comme les autres. L'émotion lors de leur premier procès, le caractère hautement symbolique de leur condamnation à la prison ferme à l'aube d'une nouvelle vague de plans sociaux, mais aussi et surtout leur résistance, la création de plus de 80 comités Goodyear, le succès de la tournée de meetings de leur porte parole et de ses prises de positions lutte de classe, ont donné aux Goodyear et à leur volonté de combat, une notoriété importante. Il y a eu par le passé des militants ouvriers qu'une grève, une lutte faisaient connaître au delà de leur entreprise. Mais là, il s'agit de bien autre chose. Leur appel à faire d'Amiens les 19 et 20 octobre la capitale de la lutte de classe, pourrait cristalliser bien des évolutions latentes des consciences et des combats en une prise de conscience générale et faire ainsi progresser le niveau de celle-ci comme le niveau de la lutte de classe lui-même. 

L'appel des Goodyear à la mobilisation nationale les 19 et 20 octobre à Amiens et, avec des "Nuit debout", à une journée "Relaxe Debout" le 19 à Amiens et partout où c'est possible pour la relaxe de tous les condamnés et poursuivis, syndicalistes et jeunes, est de fait, la première réponse à la hauteur de l'enjeu. Elle définit l'ébauche d'un agenda et d'un programme plus en phase directe avec ce que veulent et comprennent les militants et les gens en amorçant ainsi les premiers pas d'un chemin indépendant des confédérations syndicales et des partis politiques de la gauche institutionnelle. 

Cet appel donne d'abord de fait une suite dans la rue au 15 septembre et en ravit l'initiative à l'intersyndicale. Les confédérations n'ont certes guère envie de ce rendez-vous à Amiens. Cependant, si les Goodyear tiennent bon et si on les épaule, il sera difficile aux confédérations de s'y soustraire et d'échapper à son attraction sur les militants. En changeant ce qu'il faut changer, ce peut être l'équivalent de l'appel des jeunes au 9 mars. 

A travers cet appel, c'est la possibilité de faire de chacune des grandes étapes des procès à venir, les 28 et 29 septembre pour Air France dans une certaine mesure, les 19 et 20 octobre pour les Goodyear assurément, le 25 novembre pour les dockers du Havre peut-être et d'autres encore, un agenda de mobilisations nationales. L'initiative des Goodyear qui appelle au recensement de tous les cas de répression pour une défense plus collective en même temps qu'à la mobilisation pour tous les cas et leur convergence à Amiens, est un appui important pour tous les militants. Cela peut permettre aux comités divers contre la répression d'unifier leurs forces et d'aller vers une prise en main du mouvement contre la répression par les salariés eux-mêmes. 

Par ailleurs, les Goodyear associent la lutte contre la répression et celle contre la loi travail dans un même combat  ; l'absence de suite sérieuse au 15.09 ou la tactique saute mouton des confédérations sur la loi travail peut s'en trouver contestée, bousculée par les mobilisations contre la répression. Et plus encore, il s'agit là en effet – les Goodyear l'écrivent - du combat unique contre la tentative d'écraser tous ceux qui relèvent la tête contre toutes les attaques patronales et gouvernementales ; c'est-à-dire celles des des plans sociaux par exemple en cette rentrée. Et les Goodyear ont proposé aux salariés de l'Alstom de se mettre à leur service en même temps qu'ils les ont invité à mener le combat ensemble1.

Cette initiative donne aussi la possibilité d'unifier ou de rapprocher les Comités Goodyear des "Nuit debout" mais aussi les collectifs jeunes, de dépasser les divisions syndicales et professionnelles ou sociales derrière des militants ouvriers de base aux perspectives lutte de classe.

Elle donne encore la possibilité d'unifier autour de "Relaxe Debout'", à Amiens et ailleurs, toutes les victimes de la répression, que ce soient les migrants, les militants zadistes ou écologistes et à travers cela donner la perspective d'une suite commune aux luttes contre le nucléaire du 1er octobre à Flamanville, pour les migrants le 1et octobre à Calais, contre NDDL le 8 octobre, etc... en se retrouvant tous à "Relaxe debout" à Amiens.

Elle donne toujours encore, la possibilité le 19 au soir de lancer depuis "Relaxe Debout" un appel à la mobilisation qui transcende toutes les divisions en regroupant des acteurs du mouvement jusque là séparés, ce qui pourrait donner ainsi un nouvel élan, un nouvel espoir au mouvement social dans toutes ses dimensions.

C'est enfin à partir de là, la possibilité de faire émerger une force qui ait une certaine autonomie par rapport aux organisations syndicales et politiques traditionnelles et qui ne soit pas liée ou bornée par les agendas institutionnels.

C'est donc la possibilité de faire évoluer et de cristalliser une conscience politique sous-jacente de milieux militants ouvriers et jeunes qui se cherchent une direction, une orientation, un programme et une représentation depuis des mois et des mois – on l'a vu dans les soubresauts de la CGT - et tout particulièrement les 4 mois (ou 6 mois) de la lutte contre la loi travail. 

Les journées des 19 et 20 octobre et la mobilisation pour construire le succès de ces journées peuvent élever le niveau de la lutte pour aller demain encore plus loin. Il peut alors, dans le cours de la construction de ces jours-là, à partir de ces journées ou plus généralement dans la période à venir, se construire l'embryon d'une direction lutte de classes du mouvement social, relativement indépendante des directions syndicales et politiques traditionnelles. 

Ce qui changerait totalement la situation.

Voilà ce qui est en jeu autour de la construction des 19 et 20 octobre et tout au long des mois qui viennent.

Jacques Chastaing

 

  • 1. A une heure où les plans sociaux se multiplient en cette rentrée : chez SFR, 5 000 suppressions de postes sont annoncées dont 1 000 qui pourraient intervenir rapidement chez les sous-traitants. A Belfort, c’est le site historique d’Alstom qui est sur la sellette: 480 salariés sur le carreau et alors qu’Alstom a d’ores et déjà signé des contrats aux Etats-Unis et avec la SNCF. Philips va fermer ses deux derniers sites de production d'éclairage en France : 230 salariés vont être licenciés. Casa devrait fermer une vingtaine de boutiques en France. Mahle Behr supprime 105 emplois à Rouffach. L'assureur P et V en supprime 300. Intel, 750 ; Servier, 600 ; DCNS, 500 ; Airbus Helicopters, 400 ; HSBC, 500 ; Cameron, 250 ; Alcatel-Lucent, 350 ; Gefco, 157 ; Lafarge-Holcim, 202 ; SCA, 200 ; Vallourec, 180 ; Sorin MCR, 75 ; Sidel, 92 ; Movitex, 165 ; Metso, 89 et tellement d'autres.