Publié le Lundi 17 février 2014 à 07h53.

Colloque "Penser l'émancipation"

« Un espace de réflexion et de discussions autour des élaborations théoriques et des pratiques sociales qui mettent en jeu l'émancipation humaine »

La deuxième édition du colloque Penser l’émancipation aura lieu du mercredi 19 au samedi 22 février. Avec plus de 200 intervenants, il s’est d’ores-et-déjà affirmé comme le principal rassemblement et lieu de discussion de la gauche radicale dans le champ intellectuel francophone. A la fois pour mieux faire connaître ce projet et participer à sa popularisation, nous avons voulu poser quelques questions aux membres du comité de pilotage de Penser l’émancipation.

Pouvez-vous revenir sur l’origine du projet Penser l’émancipation ?

Le projet Penser l'émancipation est né à l'initiative d'un certain nombre d'éditeurs et d'éditrices, de chercheurs et de chercheuses, d'animateurs et d'animatrices de mouvements sociaux de Suisse, de Belgique, de France, du Canada et du Royaume-Uni, et – encore trop peu – d'Afrique. Ils ont constitué le réseau international Penser l'émancipation. Ce réseau a ainsi donné lieu à un premier colloque, à Lausanne en octobre 2012. Son objectif est de développer, dans le monde francophone, un espace de réflexion et de discussions autour des élaborations théoriques et des pratiques sociales qui mettent en jeu l'émancipation humaine. L'enjeu est donc de dépasser les clivages académiques et politiques de la gauche radicale et de favoriser la construction d'un réseau stable permettant de réaliser des rassemblements interdisciplinaires.

Quel est l’objectif de cette deuxième édition ?

Cette seconde édition du colloque aura lieu des 19 au 22 février 2014 à l'université de Nanterre. Il est organisé par le réseau Penser l'émancipation et le laboratoire Sophiapol. Il rassemblera plus de deux cents intervenants dans 70 ateliers et quatre plénières. L'un des objectifs de ce colloque est de montrer que les différents systèmes de domination et d'oppression que sont le capitalisme, l'impérialisme et le patriarcat doivent faire l'objet de critiques autonomes. Les classes dominantes profitent de la crise pour intensifier l'exploitation du travail humain et des ressources naturelles. Ces nouvelles offensives capitalistes donnent lieu à un recul des luttes sociales. Le renforcement des structures patriarcales dont témoigne l'actuel débat sur « la théorie du genre », le redéploiement des forces impérialistes et coloniales dont les guerres malienne et centrafricaine sont un exemple, la destruction des systèmes de protection sociale sont autant de phénomènes qui doivent faire l'objet d'une critique radicale.

Quelle analyse faites-vous de la conjoncture intellectuelle ?

Chaque dimension du monde social fait aujourd'hui l'objet d'analyse renouvelées. A l'asservissement croissant du travail par le capitalisme répondent des tentatives de réappropriation collective de l'activité et un retour de la critique du salariat. Face aux politiques racistes et à l'islamophobie, de nouvelles dynamiques émergent dans les mouvements de l'immigration et des quartiers populaires, ainsi que dans le champ des études postcoloniales et décoloniales. Les transformations de l'exploitation du travail féminin à l'échelle mondiale, les formes renouvelées d'oppressions sexuelles, et toutes les expressions recomposées du patriarcat, posent la question d'un agenda féministe, queer et LGBT pour le 21e siècle.

N’y a-t-il pas un risque d'académisation de la pensée critique ?

Le risque de voir les théories critiques s'académiser est bien réel, il s'est même déjà réalisé puisque la majeure partie des pensées critiques actuellement en circulation est produite par des universitaires   salariées d'institutions souvent prestigieuses et peu accessibles. La dénonciation de cette académisation est cependant à double-tranchant. Premièrement, elle révèle parfois un anti-intellectualisme en contradiction directe avec la grande tradition théorique du mouvement ouvrier, dont le marxisme est évidemment l'exemple le plus frappant (rappelons qu'Engels affirmaient du prolétariat allemand qu'il était l'hériter de la « philosophie classique allemande »). Deuxièmement, cette dénonciation se fonde parfois sur une analyse de la composition sociale de l'université qui est aujourd’hui historiquement caduque. La majeure partie de la jeunesse passe aujourd'hui au moins quelques années à l'université, qui représente l'un des rares lieux où l'on peut avoir accès aux pensées critiques en question. L'université est donc selon nous un espace qu'il est important d'occuper, un enjeu de lutte et de construction contre-hégémonique à laquelle Penser l'émancipation entend participer. Enfin, de nombreux étudiantEs, universitaires ou universitaires en devenir, notamment les doctorantEs, connaissent actuellement un processus rapide de prolétarisation qui relativise largement la dénonciation classique de l'intellectuelLE séparéE des « vrais problèmes ».

Quelle place occupe le marxisme dans Penser l’émancipation ?

Le marxisme occupe bien évidemment une place importante dans ce colloque. Il s’agit pour nous de maintenir vivant un marxisme ouvert, non dogmatique, travaillant à renouveler cet héritage et à l’ouvrir à de nouvelles problématiques. Les revues Actuel Marx et Contretemps sont par exemple partenaires de l’évènement, ce qui peut donner une idée de cet ancrage au cœur d’un marxisme vivant. Des figures importantes comme Jacques Bidet, Etienne Balibar, Glibert Achcar, Selma James ou Michael Löwy (pour ne citer que quelques noms) côtoient une nouvelle génération représentée par exemple par Stathis Kouvélakis, Isabelle Garo, Emmanuel Renault, Razmig Keucheyan, Cédric Durand ou Alberto Toscano. De même qu’une place importante a été réservée aux doctorantEs et jeunes chercheurEs. Nous trouvons fondamental de faire dialoguer plusieurs générations afin de réinterroger la pertinence historique de cette tradition.

Quel type de rapports le projet Penser l’émancipation entretient-il avec les organisations militantes et les mouvements sociaux ?

Penser l'émancipation est un espace académique ouvert aux animateurs et animatrices de mouvements sociaux. De nombreux intervenants sont à titre personnel membre d'organisations militantes. Un effort particulier a ainsi été fait pour que les recherches et pratiques non académiques soient représentées. On compte ainsi des animateurs importants de mouvements sociaux comme  Thierry Schaffauser (STRASS), Selma James (ICH et GWS) ou Houria Bouteldja (PIR) par exemple. Nous espérons surtout que Penser l'émancipation pourra contribuer à la diffusion au-delà de l'université des théories critiques nécessaires à la gauche radicale.

Propos recueillis par Ugo Palheta