Publié le Lundi 5 octobre 2015 à 21h51.

Remarques sur l'état néolibéral dans la mondialisation

Il me semble que la question de l'état est trop peu abordée dans nos réflexions, comme si les caractérisations "classiques", l'état dans le capitalisme étant celui de la bourgeoisie, qui assure les fonctions répressives, idéologiques et économiques permettant le maintien du pouvoir du capital, étaient suffisantes pour avoir une action politique adaptée à la réalité. Ces caractérisations donnent les idées générales, utiles par rapport aux réformistes notamment, mais pas une ligne pour l'action, sauf à penser que la dénonciation générale de l'état bourgeois est une orientation pratique. En effet que l'on milite dans une démocratie parlementaire, une dictature militaire, le fascisme, on est toujours dans un état bourgeois, pourtant les tâches concrètes des anticapitalistes sont bien différentes. L'expérience grecque met en évidence le fait que la forme des états nations construits par le capitalisme, au moins en Europe, est aujourd'hui  bien bousculée. Qu'en est-il de la fonction économique de l'état grec aujourd'hui par exemple ?

 

Cette contribution vis à donner quelques pistes modestes pour entamer la réflexion.

 

L'histoire du capitalisme a toujours été liée à l'histoire de l'état, car le développement du capitalisme ne s'est pas fait selon les schémas "anti-état" des économistes classiques. Les centres d'accumulation du Capital ont dépendu étroitement d'espaces dans lesquels les états répondaient à leurs demandes. Les bourgeois ont donc soutenu au XIX° siècle la création d'états unifiés, qui ont permis une énorme croissance du capitalisme. Dans chacun de ces états, s'est construit un système de domination particulier, fait d'interactions entre les capitalistes et la bureaucratie d'état, de compromis sociaux face aux mobilisations ouvrières. Par exemple en France, l'état est très structuré, très puissant, production du processus de prise du pouvoir au cours du 19° siècle par une bourgeoisie faible au moment de la révolution française, avec une intervention économique majeure entre 1945 et 1975. Sa légitimité diminue régulièrement, notamment au travers de la décrédibilisassions des formes de la démocratie bourgeoise, en  même temps que se renforce l'appareil répressif et s'amplifie la domination idéologique.

 

A quel niveau la mondialisation modifie les modes de domination actuels du capital ?

L’asymétrie des rapports entre  les états et les multinationales s'accentue en faveur de ces dernières.  La concentration des capitaux au sein des multinationales, souvent avec le soutien des états d'origine, leur permet non seulement de dominer leur propre marché, mais en plus de se tailler de grosses parts dans le marché mondial. Les multinationales ne rompent pas les liens qui les unissent à un état (notamment parce que les commandes d'état jouent toujours un rôle important, et aussi parce que les états sont encore des structures capables d'intervenir pour empêcher les crises de prendre des dynamiques incontrôlables), mais multiplient les états auxquels elles ont liées.

 

La tendance à créer des blocs régionaux est de plus en plus forte, même si on n'en est pas encore à des super-états régionaux. Ces évolutions donnent aux capitaux des espaces plus grands, et ont l'intérêt d'éloigner un peu plus les centres de décisions de celles et ceux d'en bas. L'Europe s'est ainsi construite sur le monétarisme de la BCE, la concurrence comme principe d'activité économique, et une part secondaire aux "services d'intérêt général". Surtout, elle systématise une tendance existant dans tous les états  qui consiste à donner le pouvoir réel à une instance technique qui fixe les règles du jeu, ce qui dépolitise touts les débats. Les institutions ne sont pas légitimées par des objectifs politiques, sociaux, mais par une règle économique cardinale: la concurrence.

 

L'état a été restructuré de deux manières. D'une part les privatisations massives ont mis fin à l'état "producteur" . D'autre part la mise en place d'instruments de pouvoirs nouveaux structurant de nouvelles relations entre gouvernements et citoyens, sur la base des valeurs et des règles d'efficacité des entreprises privées. Comme l'écrivent Dardot et Laval dans La nouvelle raison du monde "le changement dans la conception et l'action de l'état s'est d'ores et déjà imprimé dans le vocabulaire politique. Le terme de "gouvernance" ....un état ne devra plus être jugé sur sa capacité d'assurer sa souveraineté sur un territoire, selon la conception occidentale classique, mais sur son respect des normes juridiques et des bonnes pratiques économiques de la gouvernance".

Car l'état ne disparait pas, il se plie à de nouvelles règles du jeu, qui imposent des régressions sociales à la majorité, organise un transfert de revenus vers les riches au nom de la concurrence, tout en détruisant les institutions qui avaient pour vocation de pacifier les luttes de classe (voir ce qui se passe avec le droit du travail en ce moment).

 

Comme toujours, toute réorganisation provoque de nouvelles contradictions. Les logiques managériales ont tendance à unifier les champs économiques, sociaux et politiques, et augmentent les possibilités de luttes transversales. A nous de travailler là-dessus.

 

Patrick (Rouen)