La pandémie, le confinement ont été des révélateurs puissants de l’état de notre société, des logiques de l’appareil d’État et de logiques alternatives à mettre en œuvre.
Il est apparu au grand jour que l’État, prétendument au service des besoins de la population, avait non seulement ignoré ces besoins, en termes de risques sanitaires et de moyens hospitaliers, mais, bien pire, mené consciemment des politiques budgétaires réduisant année après année les moyens alloués à des politiques de prévention.
Plus globalement, en cassant le rythme normal de la vie économique et sociale, les derniers mois ont montré les contradictions fondamentales entre le fonctionnement de notre société capitaliste et les besoins sociaux dans toutes leurs dimensions.
Logiques comptables contre urgences sociales et sanitaires
Certes, pour limiter l’expansion de la pandémie au sein de la population, la vie économique a été mise quasiment à l’arrêt pendant deux mois et n’ont été, officiellement, maintenues que les activités essentielles pour la population. De même, l’État a directement financé le chômage partiel pour des millions de salariés du privé (jusqu’à 5,5 millions d’équivalent plein temps en avril selon la DARES).
Mais en fait, la décision gouvernementale du confinement strict a bien été, en France comme ailleurs, la conséquence de l’absence de moyens de prévention (masques, tests) et surtout la pénurie de lits de soins intensifs. La crainte réelle du gouvernement n’aura pas été le nombre de morts (à ce jour, avec 44,6 morts pour 100 000 habitantEs, la France, sixième pays le plus touché au monde, devance encore les USA et le Brésil) mais la saturation totale des moyens de réanimation avec la crise de société que cela aurait entraîné pour la sixième puissance économique mondiale.
De même, le chômage partiel pris en charge par l’État, la réouverture au plus vite des établissements scolaires correspondaient bien au besoin de maintenir au maximum à disposition les effectifs stables des entreprises pour redémarrer la production avec les « ressources humaines » nécessaires dès que possible. Rien n’a été fait pour empêcher l’explosion du chômage en avril (plus 843 000) notamment par la fin brutale de CDD et de missions d’intérim. Le seul but était bien de maintenir en état les outils de production, pas de maintenir les salaires et les emplois.
Néanmoins, pendant les mois de mars et avril, la priorité semblait être donnée à l’humain et à ses besoins immédiats en termes de santé et d’approvisionnement. L’État lui-même semblait abandonner le « laisser faire » néolibéral pour décréter jusqu’à un certain point pour les urgences sociales. En même temps, apparaissait surtout que rien n’avait été fait pendant des années pour répondre à ces urgences sociales, aux besoins de la population. Il en avait été ainsi (parallèlement au déstockage des masques) de la production de matériels sanitaires : malgré les mobilisations des salariéEs et de la population locale, Honeywell, en 2018, avait fermé tout simplement, avec l’assentiment du gouvernement, Giffard, l’usine de fabrication de masques de Plaintel (Côtes d’Armor), Luxfer fermant son usine de Gerzat (Puy-de-Dôme), seul fabricant européen de bouteilles d’oxygène. De même, en 20 ans, les établissements de santé avaient perdu 20 % de leurs lits d’hospitalisation à temps complet, là encore malgré la mobilisation croissante des personnels de santé.
« Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond, à d’autres, est une folie » (E. Macron, 12 mars 2020).
La déclaration est intéressante, mais qui sont « les autres » à qui ont été délégués notre alimentation, notre santé, notre cadre de vie ? Macron voulait sûrement parler des pays étrangers dont dépend la France pour les masques ou les médicaments par exemple. Mais la crise de la pandémie a révélé que pour la santé comme pour l’ensemble des besoins élémentaires (transports, logements, alimentation, communications, entre autres), les choix, les décisions sont prises non pas en fonction des besoins sociaux mais en fonction des intérêts économiques et financiers de ceux qui dirigent les entreprises censées subvenir à ces besoins élémentaires. Et lorsque c’est l’État lui-même qui subvient à ces besoins, dans le cadre de services publics ou de ce qu’il reste d’entreprises publiques, il le fait selon une logique comptable et budgétaire qui correspond là aussi aux impératifs économiques et financiers fixés par les groupes capitalistes qui reçoivent souvent délégation de services publics. Il en a été ainsi, dans la santé, de la suppression des lits et des postes, de la fermeture d’hôpitaux et du développement de l’hospitalisation privée. Mais il en est aussi ainsi des concessions d’autoroutes attribuées par l’État à des groupes comme Vinci ou Eiffage, de la distribution des eaux attribuée à Suez, à la Lyonnaise des Eaux ou à Veolia, de la politique menée dans les transports par la SNCF ou Air France.
Aussi, inutile de chercher « les autres » – à qui sont délégué notre alimentation ou notre cadre de vie – hors de nos frontières… Ils sont chez nous, au gouvernement et à la tête des grandes entreprises et des banques… L’ennemi est dans notre pays !
La pandémie nous a renduEs plus sensibles aux préoccupations de notre environnement, de notre cadre de vie, du lien entre pandémie, déforestation, changement climatique. Les zoonoses, dont font partie le COVID-19, comme le SRAS et Ebola, sont les conséquences de ces transformations imposées à notre environnement par les États et les grands groupes. Ces transformations se font évidemment sans aucun contrôle ni choix des populations concernées. René Dumont disait il y a plus de 40 ans : « C’est un seul et même système qui organise l’exploitation des travailleurs et la dégradation de nos conditions de vie et qui met en péril la planète entière ». Déclaration prémonitoire !
Les conditions déplorables de logements, l’insalubrité, un urbanisme de parcage subi dans les quartiers populaires, des inégalités dans l’accès à la santé ont elles aussi été mises en relief ces derniers mois. D’autant plus insupportables durant la pandémie que ces conditions aggravaient les risques pour des hommes et le plus souvent des femmes qui n’étaient ni en télétravail ni au chômage technique, mais amenéEs à assurer les transports, la logistique, la distribution, les soins. Les classes populaires racisées ont été davantage victimes de la surmortalité de ces derniers mois, notamment en région parisienne. C’est dans ces mêmes zones que se sont développées de nombreuses initiatives populaires d’aide aux voisins, de courses pour les personnes âgées ou sans ressources. Mais là aussi, les réseaux d’organisations populaires reposaient une fois de plus la question des besoins sociaux, des services publics quand le gouvernement, lui, étalait ses chiffres sur la multiplication des contrôles policiers dans les quartiers pour « non-respect du confinement ».
Socialisation et prise en main par en bas
Beaucoup ont tourné ces derniers mois leurs exigences vers l’État comme garant de l’intérêt collectif, pour que les besoins sociaux prennent le pas sur les besoins du capital. Si celui-ci a donné provisoirement l’impression de jouer ce rôle, c’est bien que dans ces conditions particulières, l’État ne pouvait pas « laisser faire le marché » pour s’affronter à la crise. Mais, même en faisant ainsi, le gouvernement s’est bien gardé d’imposer aux entreprises ce qu’il imposait aux petits commerçants. Muriel Pénicaud a refusé frontalement la fermeture obligatoire des entreprises non essentielles et le patronat a cherché coûte que coûte à maintenir les activités industrielles.
De même, si les hôpitaux ont pu faire face à la crise, cela n’a pas été grâce à l’administration publique, mais bien en passant au-dessus des contraintes des règles ministérielles :
« L’impensable est devenu réalité. L’inertie bureaucratique administrative a laissé la place à la rapidité d’adaptation, la routine procédurale a été remplacée par la créativité individuelle et collective, la concurrence et le chacun pour soi ont été supplantés par la coopération altruiste, la recherche de l’activité rentable a disparu, faisant place au juste soin pour chaque patient avec un maximum d’efficience pour la collectivité. Et ce malgré le manque de dispositifs de protection et les pénuries de médicaments, et malgré le sentiment amer d’abandon des personnels hospitaliers qui se sont mobilisés depuis plusieurs mois pour réclamer un plan d’urgence pour l’hôpital public. » (Manifeste des soignants, mai 2020)
Ce n’est pas tant la nature publique de l’hôpital, mais la prise en main directe des affaires par les personnels soignants qui a permis d’éviter de nombreuses catastrophes.
Ce qui est vrai dans le domaine de l’hôpital l’est aussi dans le domaine de la production pharmaceutique, de la recherche.
Toute l’expérience des derniers mois montre la nécessité d’inclure dans nos batailles l’exigence de la prise en main publique, de la socialisation des activités économiques indispensables à la satisfaction des besoins sociaux, de santé en premier lieu. Socialiser, cela n’est pas seulement maintenir et étendre des services publics, mais surtout les faire fonctionner sous contrôle direct des usagerEs, des salariéEs, avec des choix pris en fonction de la satisfaction des besoins sociaux. Cela nécessite une démocratie qui ne soit pas délégataire mais organisée au plus près des lieux d’activité.
Ces derniers mois ont montré la nécessité que les productions de médicaments, la recherche soient mises au service de la santé publique et non pas des profits. Ce qui s’impose c’est la socialisation des entreprises liées à la santé dans un seul système intégrant les structures du public et celles aujourd’hui privées. Il en est de même de la nécessité de l’expropriation des trusts pharmaceutiques. La production et la recherche pharmaceutiques jouent un rôle clef dans nos besoins de santé. Ainsi la recherche sur les virus exige un travail de long cours qui n’est pas compatible avec la recherche de profits. Les dernières années en ont été l’exemple, plusieurs labos cessant leur recherche après l’épidémie de SARS par manque apparent de débouchés. La course au vaccin pour le Covid-19 et le chantage de Sanofi au financement avec les gouvernements français et américain en est le dernier exemple. Mais parallèlement, ce trust « français », champion du CAC 40, tout comme Novo Nordisk et Lily, possesseurs des brevets, impose dans le monde entier des prix exorbitants pour l’insuline, la rendant inaccessible à 50 % des diabétiques. Dans le même temps, Sanofi refuse d’indemniser les victimes de la Dépakine. Cela ne l’empêche pas de distribuer régulièrement des milliards de dividendes et de supprimer des milliers d’emplois. Financés par la Sécurité sociale et les aides à la recherche, les trusts pharmaceutiques doivent évidemment être expropriés et leurs choix de production et de recherche déterminés par les besoins sociaux.
Aussi, l’exigence et la mise en place de structures démocratiques de décision et de contrôle par les salariéEs et les usagerEs vont de pair avec la nécessité de rendre publics des services gérant les biens communs. L’exigence de démocratie va de pair avec l’exigence de satisfaction des besoins sociaux. Les deux s’opposent au maintien d’un système capitaliste qui tourne le dos à la satisfaction de ces besoins.
L’urgence sociale tout comme l’urgence climatique, l’urgence de lutter contre le racisme d’État et les discriminations, les violences sexistes ont pris plus d’acuité avec la pandémie. Dans tous ces domaines, la nécessité démocratique de pouvoir contrôler nous-mêmes, décider nous-mêmes des choix qui conditionnent notre existence apparait plus prégnante. La crise lancinante des institutions politiques, la perte de crédibilité du gouvernement rendent encore plus nécessaire de lier ces exigences de démocratie et de satisfaction des besoins sociaux en posant la question de la socialisation comme outil de combat contre le capitalisme, pas seulement comme perspective lointaine.