Jeudi 29 octobre, jour des trois assassinats au couteau à Nice, les médias annonçaient une seconde attaque similaire à Avignon. Le RN s’est, dans un premier temps, empressé de dénoncer un nouvel « attentat islamiste », à l’unisson des premiers messages sur les réseaux sociaux. Mais très vite, d’après plusieurs médias, dont Libération et Mediapart l’assaillant a semblé être proche, voire militant du groupuscule d’extrême droite Génération identitaire (GI) dont il portait un modèle de veste1.
L’individu aurait attaqué un « maghrébin » avec un pistolet automatique en revendiquant son appartenance à Génération identitaire. Fidèles à leur méthode d’interpellation démocratique, les policiers l’ont abattu malgré leurs premiers tirs de LBD. Il s’avère, selon Marianne, que l’individu a été proche des Jeunesses communistes pendant une dizaine d’années. Connu pour ses problèmes psychiatriques, il aurait commencé à développer une perception d’oppression venant des « Arabes ». Il s’éloigne du PCF du Vaucluse en 2015, en coupant tout lien. Selon l’expression journalistique, « des livres d’ultra-droite et néonazis » auraient été trouvés à son domicile.
« L’action d’un déséquilibré » ?
Le procureur de la République du Vaucluse, justifie la non-saisie du parquet anti-terroriste au motif qu’il s’agit d’une « affaire de droit commun qui relève de l’action d’un déséquilibré ».
Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une affaire politique. Il n’est pas anodin qu’un individu, même confus, tire sur un homme d’origine maghrébine, habillé avec l’uniforme de militants qui « défendent l’Europe ». Cette affaire démontre pour nous plusieurs choses. D’abord, elle confirme la très grande méfiance à maintenir face à un emballement des réseaux sociaux, qui aujourd’hui, profite plutôt à l’extrême droite. L’autre enseignement à tirer, c’est la qualification politique du geste dans le contexte actuel : une islamophobie largement institutionnalisée entretenue par l’extrême droite d’une part et, d’autre part, de réelles attaques venues d’un terrorisme « déstructuré » motivé par une aspiration jihadiste, radicale et violente. Quel rôle joue Génération Identitaire ? GI n’a pas besoin de dangereux farfelus incontrôlables. Ses militantEs, propres sur eux, se rêvent dans les Cabinets d’un gouvernement qui organiserait la « remigration », pas de finir en martyr perdu dans une flaque de sang.
Prêts pour la Reconquête
Après le meurtre de Samuel Paty, Marine Le Pen réclamait une « législation de guerre » qu’elle inscrit dans une « stratégie de reconquête ». Des experts en « Reconquista », elle peut en trouver auprès des nombreux militantEs du RN formés par les Identitaires. Leur présence dans le RN est bien documentée. Beaucoup sont collaborateurs d’élus ou prestataires de services, notamment en matière de communication. Leur parfaite intégration dans le RN ne suffit pas à démontrer leur contrôle politique de la ligne du parti, mais elle indique bien leur influence. Surtout, elle montre sur quel type de cadres peut compter l’appareil du parti.
Stéphane Ravier, sénateur du RN, « frissonne » à l’écoute de la Marseillaise scandée par un groupe « de jeunes niçois au pied de l’église Notre-Dame de Nice », qui venaient de défiler aux cris de « On est chez nous » et « Islam hors d’Europe » après l’attentat de Nice. Le même Ravier, qui reprend les mots de Poutine pour exhorter à « traquer les islamistes jusque dans les chiottes si nécessaire », indique lors de son voyage officiel en Arménie, fin octobre, que « le combat de l’Arménie aujourd’hui peut devenir celui de la France et de l’Europe demain ». Quelques jours plus tard, Libération nous apprend le premier départ d’un jeune militant d’extrême droite, ancien du GUD et de l’Action française, pour « le front » du Haut-Karabagh, renouant avec la longue tradition de mercenariat de l’extrême droite, notamment au Liban et en Croatie.
« Fatwa lancée contre la France »
Dans cette atmosphère, il ne faudra pas s’étonner du passage à l’acte de déséquilibrés et de « loups solitaires » pour qui la notion d’« islamiste » peut être mouvante. Déjà, l’extrême droite est consciente du risque. Ainsi Jean-François Touzé, délégué national du Parti de la France (à la droite du RN), lance un appel « au calme ! » pour se méfier des « manipulés ou pas, les crétins, irresponsables et sous-zombies au front bas qui croient malin, dans le contexte de fatwa lancée contre la France par les djihadistes, de s’en prendre – même virtuellement – à des mosquées, de rouler des mécaniques et de multiplier les provocations, [et] jouent clairement contre notre camp et contre l’intérêt national ».
« Islamo-gauchisme », vivre-ensemble, « droits-de-l’Hommisme », « immigrationnisme » viennent s’ajouter à l’exégèse du Coran par des « experts » qui nous expliquent à quel point les musulmans sont incompatibles avec l’Europe. Ce « gloubi-boulga intellectuel ambiant »2 intègre d’autres ingrédients : une pincée d’incivilités, une bonne louche de délinquance. Bien mélanger avec des meurtres terroristes. Et noyer tout cela dans un nappage d’immigration. Vomissement assuré. L’urgence politique est d’empêcher que djihadistes et Identitaires se renforcent les uns les autres à chaque attentat. L’emballement des Darmanin et Macron n’y aide certainement pas.
- 1. En réalité, cette doudoune a été longtemps en vente sur internet : rien n’indique que l’individu soit un membre de GI.
- 2. Lire Julien Salingue, « Islam, «islamisme», jihadisme : en finir avec les amalgames », 28 octobre 2020, en ligne sur https://lanticapitaliste…