Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, Paris 18e. Du 7 septembre 2019 au 31 juillet 2020. 11 h-18 h du lundi au vendredi, 11 h-19 h le samedi et 12 h-18 h le dimanche.
La Halle Saint-Pierre, haut lieu montmartrois de l’art brut et des formes hors-norme de la création, présente l’univers unique, original et surprenant de Roger Ballen jusqu’à l’été prochain.
De la photographie à une pratique polymorphe Roger Ballen est décrit comme un photographe sud-africain d’origine américaine, géologue de formation. Très célèbre dans le monde anglo-saxon, il est exposé à la Bibliothèque nationale de France en 2006, aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2017. Si les portraits photographiques des années 1990 de Roger Ballen présentent un caractère a priori documentaire, ici, la photographie glisse et s’extrait du format rectangulaire du papier pour intégrer le monde de la troisième dimension en une installation monumentale, soulignant valses-hésitations entre réel et irréel, conscient et inconscient. Sa pratique protéiforme mène à une hybridation des plus cohérentes combinant photographie, dessin, collage, peinture, papier peint, sculpture, vidéo, installation.L’humain et l’animal, acteurs de même importance au sein du travail de Ballen, se côtoient, se mêlent et finissent par se confondre pour habiter l’univers plastique de l’artiste. À l’instar de certains de ces acteurs, les oiseaux, le mouvement caractérise Roger Ballen aussi bien que son processus créatif. Ce dernier travaille dans beaucoup d’endroits différents avec de nombreuses personnes différentes. Les dessins qui intègrent ses photographies dans les années 2000, annonçant la fin de ses portraits, sont de lui ou émanent de ses rencontres. Les techniques se tissent pour créer une trame solide comme les mailles que le mannequin de cire parlant tricote, tricote…Deux éléments ponctuent l’exposition, d’une part le mur, fond et support formel grâce auquel les dessins spontanés ont surgi, d’autre part « the wire » dont parle Roger Ballen : câble, fil de fer (cintres), fil métallique qui relie les différentes œuvres présentées.Le photographe possède ce regard de plasticien qui s’attache davantage à l’aspect formel des sujets photographiés, capturés uniquement au Rolleiflex format 6x6, jusqu’à récemment. De fait, l’exposition nous propose de découvrir le dernier travail de Roger Ballen, ses premières photos numériques en couleur.
Théâtre de l’absurditéLa mise en scène de l’exposition amène instinctivement un fort sentiment de cruauté et de gêne, auxquels s’amalgament assez rapidement ceux d’humour noir et de dérision. La représentation qui se joue sous nos yeux alimente l’évidence visuelle de Roger Ballen, sa vérité intrinsèque échappée d’un questionnement existentiel. Le concept d’absurdité y est scénographié, comme un hommage à Paris, où il naquit selon lui.De l’installation du rez-de-chaussée plongée dans l’obscurité aux œuvres présentées dans l’espace lumineux du 1er étage, l’artiste insiste sur la manière d’appréhender son travail : la métaphore est visuelle. Là s’esquisse tout un langage, sans mots. Les oiseaux et les rats, les collections d’oiseaux, de jouets, l’aliénation de certains modèles sont autant d’obsessions décelées, qu’entourent peur et cauchemar, rappelant l’atmosphère des freak shows.Quelle métaphore, quelle poésie, quelle contemporanéité se situent dans les photographies ? Les mots, difficiles à poser sur le papier pour expliquer tout le sens de son œuvre, laissent place à la visite de l’exposition de la Halle Saint-Pierre pour que se crée un ressenti propre à chacun, comme le recommande l’artiste lui-même : « Il s’agit de se faire sa propre interprétation et de ne surtout pas s’occuper de moi. »Julie Dudragne