Publié le Mercredi 13 janvier 2021 à 12h41.

L’homme qui tua Chris Kyle, de Fabien Nury et Brüno

Dargaud, 162 pages, 22 euros.

Mercredi 6 janvier 2021, la manifestation et l’invasion du Capitole par des milliers de partisans de Donald Trump a démontré aux yeux du monde l’existence d’une frange d’Américains « petits blancs », racistes et chrétiens toujours plus radicalisés à droite. Cette extrême droite vient de loin et ce n’est pas un hasard si les auteurs de ce roman graphique1 ont, avec leur titre, pastiché le film de John Ford de 1962, L’homme qui tua Liberty Valance, et introduit l’ouvrage par le fameux « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende devient réalité, on imprime la légende ». C’est pourtant exactement ce que fit Clint Eastwood en 2014 en tournant le film American Sniper à propos du « tueur » Chris Kyle. La BD documente l’envers du décor du film, s’attarde sur la personnalité du sniper, de ses amis et famille, sur la personnalité du « tueur du tueur » et sur le Texas profond en général.

La vraie histoire de la « Légende Kyle »

Ancien Navy Seal, sniper, Chris Kyle, surnommé « La légende », est le soldat recordman du nombre de tués homologués de toute l’histoire de l’armée US. 160 « cibles » homologuées et 239 revendiquées par le tueur. Quatre interventions en Irak et trois années sur le terrain lui ont valu de nombreuses médailles.

2013, après quelques années difficiles où il semble qu’il ait été victime de PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder), Chris Kyle est un homme comblé. Heureux en ménage avec sa femme, Taya, et ses deux enfants. Son livre, autobiographique, est numéro 1 des ventes. Les droits d’auteur ont été cédés à Warner et Clint Eastwood est pressenti pour la réalisation. Kyle a fondé une entreprise de sécurité privée plus ou moins prospère. Il consacre beaucoup de temps à aider ses anciens camarades de combat, en particulier les blessés graves, les traumatisés et les handicapés, en les invitant sur un champ de tir conçu et aménagé pour lui.

Un programme thérapeutique de réhabilitation par les armes

Le 2 février 2013, en compagnie de son ami Chad, il emmène, à la demande de sa mère, Eddie Ray Routh, un ancien marine souffrant de stress post-traumatique grave. Arrivé sur le champ de tir, ce dernier les abat froidement de treize coups de feu.

Si le film de Eastwood ne dit rien sur Eddie Ray Routh, les auteurs tentent ici d’expliquer pourquoi il a tué Kyle et son ami Chad. Eddie Ray Routh est célibataire. Il n’arrive pas à reprendre le cours normal de sa vie suite à une mission militaire traumatisante en Haïti. Il sombre dans l’alcool et la toxicomanie et souffre du manque de considération par les autres ex-marine. En mettant fin à la « Légende », il règle ses comptes.

Un traitement documentaire hallucinant

L’homme qui tua Chris Kyle est une BD documentaire de grande qualité. Très documentée (à partir d’interviews, de vidéos…), elle est structurée en chapitres ouverts par une citation très « pacifiste » de Clint Eastwood. Kyle, encore vivant, n’aurait pas voulu de Matt Damon pour interpréter son rôle car c’est un « gauchiste ». Le pasteur évangéliste cite la bible pour bénir l’usage des armes. Les auteurs racontent l’Amérique de Trump avec son culte du héros, la fascination des armes, le virilisme, le sensationnel, la religion. Un mode de vie orchestré par les médias conservateurs (impayable présentateur de Fox TV). Les auteurs montrent les images du procès retentissant et comment la veuve, Taya Kyle, profite de l’homicide de son mari pour s’enrichir et « légitimer » les armes contre monnaie sonnante et trébuchante. Impassible dans le ton, les auteurs décrivent la propagande ultra militariste, présentent les arguments des « pro-armes » tout en montrant les conséquences que ces idées induisent concrètement mais laissent le lecteur tirer les conclusions par lui-même.
Graphiquement, le trait inimitable, simple et anguleux de Brüno sied parfaitement à ce récit, au découpage habile.

Une BD percutante, juste éditée et vraiment d’actualité !

  • 1. Nury et Brüno sont également les auteurs de la trilogie « Tyler Cross » sur une Amérique peu ragoûtante des années 1950. Voir l’Anticapitaliste numéro 426 du 19 avril 2018.