Publié le Mercredi 20 octobre 2021 à 11h32.

Face à la police, la double peine des femmes victimes de violences

« Au commissariat central de Montpellier, on demande aux victimes de viol si elles ont joui, on explique aux victimes de viol qu’une personne qui a bu est forcément consentante, on refuse de recevoir des victimes de viol en raison de leur tenue. »

En 1981, Nathalie, 19 ans, est violemment agressée à coups de couteau, violée, puis laissée pour morte dans le sous-sol d’un immeuble alors qu’elle se rendait chez son médecin. Elle est sauvée in extremis. Deux policiers viennent la voir à l’hôpital et son mari porte plainte au commissariat, puis plus rien. Pas d’enquête, pas de déposition, pas de relevés d’indices. L’affaire est classée sans même avoir débutée. Mais, en 1998, elle reconnait à la télévision le visage de son agresseur : c’est Guy Georges, qui vient d’être arrêté pour le viol et le meurtre de sept femmes.

De 1997 à 2009, Alexandra est battue, violée, prostituée et menacée par son conjoint. Lorsqu’elle tente de déposer plainte, les policiers le lui refusent car, malgré les hématomes, « ça ne saigne pas ». En 2009, sous les coups et étranglée, Alexandra attrape un couteau et porte un coup fatal à son agresseur.

Seule une victime de viol sur dix porte plainte

Deux femmes. Toutes deux ont subi des violences inouïes, toutes deux ont essayé de porter plainte, toutes deux n’ont pas été entendues. Pour toutes les deux, la justice reconnaitra les manquements de la police : Nathalie est reconnue victime et indemnisée en 2001, et l’État condamné pour « faute lourde ». Alexandra sera acquittée du meurtre de son mari en 2012, selon la requête du ­procureur lui-même.

Ces cas de reconnaissance sont rares et font figure d’exception. Combien de Nathalie ? Combien d’Alexandra ? Combien de femmes trouvent le courage chaque année de se rendre au commissariat pour porter plainte et se heurtent à l’incompétence crasse et aux comportements coupables des policiers ? Combien se taisent ? Combien ne sont pas reconnues ? Combien restent anonymes et isolées ?

Le rapport Belloubet, sorti en 2019, a montré que, dans 41 % des cas d’homicides conjugaux, la victime avait déjà signalé à la police ou à la gendarmerie les faits de violences. Dans 80 % des cas, leurs plaintes avaient été classées sans suite. La question se pose : si ce sont bien les hommes violents qui sont coupables, dans quelle mesure les policiers sont-ils eux aussi responsables lorsqu’ils renvoient des victimes de violences conjugales à l’endroit même où elles sont le plus en danger ? Concernant les viols, 70 % des plaintes sont classées sans suite et, sur les 30 % restants, la moitié sont requalifiées en agression ou atteinte sexuelle. De quoi décourager le peu de femmes qui seraient prêtes à témoigner. Ainsi, sur les 94 000 femmes victimes de viol ou de tentative de viol chaque année en France, seulement une sur dix tentera de porter plainte.

« On demande aux victimes de viol si elles ont joui »

40 ans après l’agression de Nathalie et son traitement infâme par la police de l’époque, les femmes témoignent encore aujourd’hui des mauvais comportements des policiers et des gendarmes lorsqu’elles osent porter plainte. Le 28 septembre, la militante féministe Anna Toumazoff relaie un témoignage de victime sur Twitter : « Au commissariat central de Montpellier, on demande aux victimes de viol si elles ont joui […], on explique aux victimes de viol qu’une personne qui a bu est forcément consentante […], on refuse de recevoir des victimes de viol en raison de leur tenue ». Elle lance le hashtag #DoublePeine puis, avec d’autres militantes féministes, un site : doublepeine.fr. En quelques jours le site recueille des centaines de témoignages de femmes concernant des commissariats partout en France. On peut y lire que les victimes y subissent encore des violences, renforçant leur sentiment de culpabilité et visant à les décourager de continuer dans leur plainte et de faire valoir leurs droits.

Face à ces témoignages, le préfet de l’Hérault parle de « diffamation », de « fausses informations et de mensonges » qui « desservent la cause des victimes » et le syndicat de police Alliance, qu’on ne présente plus, apporte son soutien aux policiers « face aux propos tenus par une pseudo féministe ». Mais le phénomènes prend tant d’ampleur que Gérald Darmanin a finalement annoncé le 13 octobre l’ouverture d’une enquête sur l’accueil des victimes au ­commissariat de Montpellier.

Non, la police ne nous protège pas

C’est insuffisant, c’est insupportable, c’est aussi la conséquence logique d’une société patriarcale dans laquelle un ministre de l’Intérieur peut lui-même être accusé de viol et rester en poste, dans laquelle ces violences sont normalisées, banalisées et justifiées et dans laquelle les femmes sont systématiquement cataloguées comme menteuses, hystériques, manipulatrices et folles. Combien de femmes devront témoigner de violences, de viols, d’agressions sexistes et sexuelles avant qu’elles soient écoutées et protégées ? Combien de témoignages doivent encore être faits avant qu’on nous croit, tout simplement, lorsque nous disons que non, la police ne nous écoute pas, ne nous protège pas ? Par son inaction, son silence, son virilisme et son sexisme, par son impunité et ses idées réactionnaires, la police est aussi complice des violences commises contre les femmes.