Grâce à un arrêt de la Cour de cassation, l’enquête sur les biens de dirigeants africains peut être relancée.Voilà une décision de justice qui soulève autant d’espoir du côté des peuples que d’appréhension pour les dirigeants d’Afrique et de France. Dans son arrêt du 9 novembre, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime en effet recevable la plainte contre les chefs d’État du Gabon, de Guinée équatoriale et du Congo (ex-Brazzaville) concernant les conditions d’acquisition de leur patrimoine. Ce n’est pas faute, pour le Parquet représentant l’État français, d’avoir essayé de bloquer cette affaire. Une première plainte de la Fédération de la diaspora congolaise et des associations Sherpa et Survie a été déposée en 2007. Malgré des faits probants établis par l’enquête policière, le Parquet a alors considéré que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée. Une seconde plainte, en 2008, a été de nouveau déposée par Transparency International. Elle a ouvert une faille, puisque la doyenne des juges d’instruction au pôle financier du tribunal de grande instance (TGI) de Paris l’a acceptée. Cette décision a été contestée par la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris. C’est cet arrêt qui vient d’être cassé. Ainsi, un juge d’instruction va être nommé pour diligenter une enquête sur la façon dont les chefs d’État et leurs proches ont pu acquérir leurs patrimoines. Les premières enquêtes révèlent pour la famille Bongo (Gabon) 39 propriétés, 70 comptes bancaires et un parc automobile d’au moins neuf véhicules d’une valeur avoisinant un million et demi d’euros. Le congolais Denis Sassou Nguesso possède dix-huit propriétés et 112 comptes bancaires. Enfin, Teodoro Nguema Obiang (Guinée équatoriale) a un parc automobile d’un montant total estimé à plus de 4 millions d’euros. L’intérêt de cette enquête sera aussi de mettre à nu les mécanismes d’acquisition de ces biens, de préciser le rôle des banques occidentales qui ont fermé les yeux sur les origines des fonds déposés en infraction aux lois contre le blanchiment d’argent sale. Elle devrait permettre de pointer les responsabilités des grandes multinationales – notamment françaises –, sources corruptrices pour bénéficier de contrats juteux, et d’identifier les bénéficiaires des largesses des dirigeants africains contribuant à financer les principaux partis politiques en France. Ces biens mal acquis sont un scandale au regard de la situation sociale et sanitaire que vivent les populations. À titre d’exemple, le Congo est classé 126e sur 177 selon l’indice de développement du Programme des Nations-unies pour le développement (Pnud). Ces biens ne sont cependant que la partie visible de l’iceberg des relations entre les grandes firmes capitalistes et les dirigeants des pays africains. En effet, en échange d’un financement occulte, les chefs d’État africains s’engagent à laisser piller les richesses minières de leur pays. Ils acceptent de ne développer aucune industrie de transformation qui pourrait concurrencer d’une manière ou d’une autre les entreprises européennes. Ils s’engagent aussi à fermer les yeux sur les évasions fiscales des capitaux des pays africains vers les métropoles occidentales. L’organisation internationale Global financial integrity a ainsi calculé qu’en 40 ans plus de 854 milliards de dollars ont été transférés illicitement d’Afrique. Autant de sommes perdues pour le développement des infra-structures, des écoles et des hôpitaux. Si l’enquête sur les biens mal acquis doit être l’occasion d’exiger que l’ensemble du patrimoine de ces dictateurs soit reversé dans des programmes sociaux au bénéfice des populations, elle doit aussi permettre une dénonciation sans concession de la politique des entreprises françaises en Afrique. Paul Martial