La défaite électorale de Bolsonaro a modifié favorablement le rapport de forces politique, mais n’a pas encore changé qualitativement le rapport de forces social.
Le rapport de forces politique se réfère aux conditions de l’affrontement entre les institutions et la bataille partisane. Ce rapport de forces s’est amélioré parce que le gouvernement est la principale institution du régime. Il a plus de poids que les Cours suprêmes, les instances non élues et le Congrès, où il y a une forte fragmentation du pouvoir. Mais la deuxième dimension de ce rapport de forces, qui doit être appréciée avec un plus grand degré d’abstraction, se réfère aux positions respectives occupées par des classes, des fractions de classe et des groupes sociaux. Sur ce terrain, celui de la lutte des classes nue, frontale et dure, nous ne sommes pas encore sortis d’une situation défensive.
Réunifier la classe
Le défi le plus complexe est de trouver la voie de la réunification de la classe laborieuse. Nous sommes sortis du processus électoral avec une grande partie de cette classe divisée. La majorité des salariéEs gagnant jusqu’à deux salaires minimums, des femmes et des personnes LGBT, des jeunes et des habitantEs du nord-est ont voté pour Lula. En revanche, l’extrême droite a obtenu la majorité des voix de ceux et celles qui gagnent plus de deux salaires minimums, des votes des hommes ainsi que dans le sud et le sud-est. Cette division est une tragédie. Sans la surmonter, il n’est pas possible d’atteindre un niveau plus élevé de détermination de lutte.
Sans améliorer le « moral » ou l’humeur de la classe laborieuse, il n’est pas possible de construire une nouvelle majorité sociale qui garantisse le soutien à la mobilisation de masse. Les actions « d’avant-garde », y compris à l’échelle de dizaines de milliers de personnes, sont utiles et ont une fonction nécessaire, mais elles ne sont pas suffisantes. À « froid », le Brésil ne changera pas. Il faudra s’appuyer sur la classe laborieuse et les mouvements sociaux populaires et ruraux, féminins et noirs, étudiants et indigènes, écologiques et culturels.
Tirer les leçons d’ici et d’ailleurs
Nous devons tirer les leçons du Chili et de la Colombie. Jusqu’à présent, Boric a fait un pari et Petro en a fait un autre. Boric a décidé d’essayer de gouverner « à froid » pour ne pas provoquer ses ennemis de classe et les forces armées. Résultat : le gouvernement chilien a subi une grave défaite politique parce que la nouvelle Constitution, qui intégrait la poussée au changement des imposantes mobilisations de 2019, n’a pas été approuvée. Petro a décidé de gouverner « dans le feu de l’action ». Le gouvernement colombien a pris l’initiative de limoger la direction des forces armées, se mettant ainsi « en marche ». Il a appelé à des manifestations de masse successives dans les rues pour demander un soutien aux réformes qui s’opposent aux intérêts des entreprises. Il s’agit de deux voies tactiques différentes.
Nous ne pouvons pas non plus oublier les leçons du second mandat de Dilma Rousseff. Lorsque la majorité de la classe dirigeante s’est unifiée, entre fin 2015 et 2016, et a décidé d’appeler à des mobilisations réactionnaires dans la rue. Face à cela, le gouvernement a été lent à réagir. Il n’a pas appelé sa base sociale à descendre dans la rue, même lorsqu’il était assailli par le danger réel et immédiat d’un coup d’État parlementaire, déguisé en destitution de Dilma Rousseff.
Aujourd’hui, il n’y a pas de danger réel et immédiat similaire, surtout après la défaite du coup d’État du 8 janvier 2023, mais Bolsonaro, même s’il est battu, conserve une énorme audience. Le bolsonarisme n’est pas un tigre édenté. Le gouvernement de Lula aura besoin d’une mobilisation sociale. « Froidement », le Brésil ne changera pas.
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